Alexandre Lenot (RF8) – « Le marché existant souffre d’un grand manque : la recommandation »

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Radioactu : De quelle façon RF8 s’insère éditorialement dans l’ensemble de l’offre de Radio France ?
Alexandre Lenot : Le constat qui préside à la naissance de RF8 a été fait sur deux ans : il s’agit de la dégradation de l’audience de la radio chez le jeune public. Entre 2000 et 2010, la durée moyenne d’écoute de la radio par les 12-25 ans est passée de 2h15 à 1h40 par jour. Ce chiffre est très important. Dans les enquêtes Médiamétrie, lorsqu’on leur demande quelles sont leurs motivations pour écouter la radio, la part des gens qui mettent une note de plus de 8/10 à la musique s’est effondrée en l’espace de cinq ans. Cela signifie que ces gens écoutent la musique ailleurs qu’à la radio. La radio est une composante essentielle de ce que fait Radio France sur ses antennes. Cela signifie que les gens dont je parle ne sont pas les auditeurs d’aujourd’hui, mais peut-être ceux de demain. Il n’y a pas de raison qu’ils changent leur façon de consommer en vieillissant. En parallèle, nous constatons les efforts de Deezer, Spotify, Pandora aux Etats-Unis, iTunes Radio… qui souhaitent se positionner par rapport à cette tendance. Le marché existant souffre d’un grand manque : la recommandation. Sur ces plateformes, cette recommandation se fait avec des algorithmes, qui essaient de faire de la recommandation de musique en fonction du croisement de données. Même si cela va progresser dans les années à venir, il semble que ces croisements d’algorithmes ne sont pas très fonctionnels actuellement. Depuis que la radio existe, depuis 50 ans, notre métier est d’éditorialiser la musique, de la contextualiser, de choisir ce que l’on passe à l’antenne, ce que l’on souhaite mettre en avant. Nous nous sommes donc dit que l’ensemble de ces compétences humaines pouvaient nourrir l’ensemble de l’écosystème d’écoute de la musique sur le web. Nous avons donc souhaité transposer l’expertise de nos différentes antennes dans le terrain numérique. RF8 est donc une sorte de catalyseur de l’ensemble des antennes : programmateurs, producteurs d’émissions musicales, émissions culturelles, journalistes, chroniqueurs spécialisés, personnes travaillant à la discothèque de Radio France… A terme, cela doit nous permettre notamment de conquérir une audience un peu plus jeune que celle des antennes, renouveler la façon dont nous concevons nos programmes et continuer à assurer notre mission de service public qui consiste à défendre un périmètre musical qui n’a pas d’équivalent dans le secteur privé. Nous disposons d’un nombre de références et d’un périmètre des genres sans commune mesure. Par comparaison, les radios privées sont sur des genres très restreints. Les enquêtes de l’Observatoire de la musique sur la diversité musicale à la radio montrent que, l’an dernier, la première radio était FIP – avec 28 000 titres par an -, suivie du Mouv’ – avec 4 000 titres -, et de Oüi FM. Je pense que NRJ est à moins de 1 000 titres par an. Nous constatons donc que nous ne faisons pas le même métier. Les plateformes font la même chose, en concentrant les moyens sur les têtes d’affiche. Si l’on regarde la page d’accueil de Deezer ou les recommandations de Spotify, on constate que leur actualité est très liée aux partenariats qu’ils ont construits avec l’industrie du disque, qui concentre pour sa part ses moyens marketing sur quelques sorties par an, sur du blockbuster. Nous avons donc vraiment une carte à jouer sur ce terrain. En résumé : nous souhaitons en interne fédérer les expertises des différentes antennes, les proposer sur le champ numérique. En externe, nous souhaitons proposer une offre de recommandation. Nous ne sommes pas positionnés sur une offre de catalogue comme peuvent l’être Spotify et Deezer ; nous ne dirons jamais que nous avons 25 millions de titres. Nous disposons de 2 millions de titres en base et, aujourd’hui, le titre est lancé avec environ 1 600 titres.

Radioactu : Quels moyens financiers ont été alloués à ce projet ?
Alexandre Lenot : Le budget d’investissement est d’environ 330 000 euros. En fonctionnement, nous sommes une équipe de quatre personnes, qui va s’étoffer. Le projet a mis un an et demi à naître.

Radioactu : Les différents contributeurs ont-ils accepté facilement de collaborer à la réalisation des contenus ? Qu’est-ce que cela représente pour eux d’un point de vue financier et temps de travail ?
Alexandre Lenot : Cela a été un long travail pédagogique, mais cela est allé vite par la suite. Nous avons plus de contributeurs en interne que ce que nous pouvons assumer en fabrication et en édition.

Radioactu : Avez-vous noué des accords avec Deezer, YouTube… pour proposer vos playlists ?
Alexandre Lenot : Nous formalisons actuellement des accords de partenariat. Techniquement, nous utilisons leurs API (interface de programmation, ndlr) en nous conformant à leurs conditions d’utilisation.

Radioactu : Comme ces plateformes, RF8 fait de la recommandation de musique. Cela représente-t-il une concurrence pour ces diffuseurs de musique ?
Alexandre Lenot : Dès le début du projet, nous avions mis en avant le fait que nous allions mettre en place une fonctionnalité d’export permettant, une fois la recommandation éditoriale faite à nos utilisateurs, de continuer à écouter la musique que nous avions prescrite dans leur environnement d’écoute, le plus souvent payant dès l’origine. Cela signifie que nous prescrivons l’utilisation de ces services. Comme la majorité des acteurs, nous considérons que nous sommes un peu comme dans un restaurant isolé dans une rue : ce restaurant marche moins bien que dans une autre rue plus passante, où se trouveraient dix restaurants. Le streaming se trouve un peu dans cette situation ; les acteurs et les usages doivent se développer. Il faut reconnaître les mérites de Spotify et Deezer en terme de croissance, mais ils sont beaucoup plus petits que iTunes et ne représentent pas encore un marché de masse. Ces usages ont besoin d’être démocratisés, en particulier vers une cible un peu plus âgée et moins connectée que leur cible première, qui est un peu le public des antennes de Radio France.

Radioactu : Vos contributeurs sont des passionnés. En tant que responsable du site, cela doit être exaltant…
Alexandre Lenot : C’est génial ! C’est mon troisième projet de ce type. J’ai d’abord monté un média associatif, La Blogothèque, ensuite Arte Live Web chez Arte. A présent c’est RF8 ; je suis plutôt content.

Radioactu : Comment RF8 se fait-elle connaître d’un point de vue promotionnel ?
Alexandre Lenot : Le lancement a été essentiellement fait sur la base des relations presse et réseaux sociaux. Une campagne de promotion sur les antennes et les sites des antennes a également été menée. De futures fonctionnalités nous permettront ensuite d’assurer facilement la promotion des playlists ou groupes de playlists sur l’ensemble des sites des antennes, de nos partenaires… La promotion va être très organique.


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