Arnaud de Saint-Roman – L’audimétrie radio, pour quoi faire ? : réponse soft à une question hard

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D’abord, constatons qu’il n’y a que le mode de détection des stations qui soit passif. Pour le reste, les systèmes d’audimètres radio restent plus ou moins intrusifs : le panéliste qui doit porter à longueur de temps un audimètre de type pager (Arbitron, Eurisko et autres), une montre (Mediawatch de GfK), un smartphone prêté pour ceux qui n’en ont pas (MediaCell d’Ipsos) n’est pas dans une démarche passive. A tout prendre, le moins intrusif est probablement le système MediaCell, en tout cas pour les panélistes déjà équipés d’un smartphone compatible.
Donc, plutôt que de mesure passive, ne devrait-on pas parler de mesure automatique ou de mesure électronique ?

LE PANEL AUDIMÉTRIQUE NE SUPPLANTE PAS LE DÉCLARATIF

Le panel audimétrique qu’Ipsos met en place en Italie ne vient pas supplanter l’enquête déclarative existante, il vient en complément : il ne prendra en compte que l’audience de 21 stations, laissant de côté un tiers de l’audience générée par les autres stations (locales) ! Les 4000 panélistes MediaCell viendront donc compléter les quelque 120 000 personnes interrogées annuellement par téléphone par GfK Eurisko. On aura donc une répartition des rôles : à l’étude GfK Eurisko de mesurer l’audience cumulée, le quart d’heure moyen de l’ensemble des stations, au MediaCell d’Ipsos de mesurer la couverture 7 jours, 14, 21 jours des réseaux les plus importants et les plus utilisés par les annonceurs nationaux.

Vu de France, c’est un peu comme si le panel radio 3 semaines de Médiamétrie, qui complète la 126 000 pour la couverture 7, 14 et 21 jours, était remplacé par un panel audimétrique (ce qui ferait partie des options actuellement envisagées par certains acteurs français)… et qu’était laissé de côté le Groupement Les IndésRadios.

Alors, le MediaCell peut-il prétendre remplacer à terme le déclaratif en Italie ? Difficile à imaginer pour le moment, du moins en termes économiques : sachant qu’il faut un inserteur (voire deux pour la sécurité) pour chaque signal ou programme radio et qu’il y en a plus de 2000. De plus, la richesse et la variété des programmes locaux obligent à envisager, sauf à écarter de la mesure ces milliers de locales, des panels dont l’ordre de grandeur avoisine les 50 000 personnes. Un panéliste MediaCell revenant plus cher qu’un répondant au téléphone (qui ne réclame aucun dédommagement), qui paiera la différence ?

Ipsos qui réalise depuis longtemps la mesure d’audience de la radio par carnets d’écoute au Royaume-Uni pour le RAJAR, est entrée dans sa deuxième année de tests intensifs sur le grand Londres. Et d’après Jerry Hill, président du RAJAR, l’étude MediaCell « combinée avec l’étude existante – par carnets d’écoute hebdo – a le potentiel de fournir une source précieuse d’informations pour les éditeurs de programmes radio ». Là, comme en Italie, on ne parle pas – pour le moment – de substitution à l’enquête déclarative. Mais vu la relative concentration du paysage radio anglais, la tâche paraît plus facile, et l’hypothèse d’une substitution pure et simple comme à New-York ou Los Angeles n’est pas totalement utopique.

On sait qu’aux Etats-Unis, Arbitron a progressivement substitué, ville après ville, le pager audimétrique PPM à son carnet d’écoute dans une cinquantaine de marchés (les villes les plus importantes). Mais n’oublions pas que les quelque 220 autres marchés tournent toujours avec un carnet d’écoute hebdomadaire, une méthodologie initiée en 1965.

Au bout du compte, peu de pays ont purement et simplement basculé du déclaratif vers l’audimétrie radio: c’est le cas des plus gros marchés américains, de pays scandinaves, de la Suisse, du Canada…

Ces pays ont un point commun : les paysages radio y sont concentrés (moins de 400 stations), ce qui veut dire : moins d’opérateurs à convaincre, moins d’inserteurs de watermarking à financer, des tailles d’échantillons raisonnables, en rapport avec la faible diversité de l’offre hertzienne. Ce sont souvent des pays qui utilisaient le carnet d’écoute hebdo comme mesure de référence et dont les annonceurs ne pouvaient plus se satisfaire.

QUELLES PERSPECTIVES POUR L’AUDIMÉTRIE RADIO ?

Alors, pour les fervents promoteurs de l’audimétrie radio, puisqu’il y en a, quelles perspectives, face à des paysages radios aussi riches et diversifiés que ceux de France, d’Italie ou d’Espagne ?

Se limiter dans un premier temps aux régions capitales : Ile-de-France, Milanais, Catalogne…? Mais dans ce cas comment gérer une mesure à deux vitesses ?

Pour la France, remplacer le panel radio par carnet d’écoute par un panel audimétrique ? Mais alors comment mesurer la couverture du Groupement les IndésRadios (plus de 15 % d’AC) ou de France Bleu (8%), et les décrochages locaux des réseaux musicaux ? Sans parler des centaines de stations associatives. Tous ces programmes donnent naissance à des résultats au niveau agrégé dans la 126 000 et au niveau fin dans les Médialocales. Celles-ci assurent une fonction essentielle : elles servent à déterminer le revenu des 128 stations du GIE. Qu’en serait-il si l’audimétrie devait remplacer la 126 000 et les Médialocales?

On voit donc que, pour des pays aussi riches que la France en programmes radio de proximité, le problème est tout sauf simple et que les systèmes qui ont le plus de chance de gagner un jour la bataille de l’audimétrie sont ceux qui auront le coût au panéliste le moins cher, de façon à atteindre des échantillons peut-être pas égaux, mais au moins comparables aux formidables échantillons déclaratifs actuels.

Sous cet angle, la stratégie du coucou imaginée par Ipsos (un soft élisant domicile dans un smartphone) paraît a priori moins coûteuse que la stratégie de l’audimètre additionnel (un people meter à fournir en hard à chaque panéliste). Moins d’intrusion, donc moins d’incentive pour le panéliste et un meilleur port de l’audimètre générant une audience a priori plus exhaustive. Mais on peut reprocher à la méthode d’Ipsos de modifier les comportements des panélistes non encore « smartphonisés », auxquels on doit prêter un appareil…Cependant le temps semble travailler pour le MediaCell. Quant à la question souvent évoquée de la fiabilité d’un panel de smartphones forcément hétérogènes, faisons confiance aux techniciens : on peut imaginer qu’elle se résoudra petit à petit.

N’oublions pas : l’audimétrie radio n’est pas comparable à l’enquête déclarative. L’audimètre porté détecte l’existence d’un signal radio autour de lui, que le porteur soit conscient ou non d’écouter ledit signal (l’audience fantôme chère à Jean-Paul Baudecroux)
Dans le déclaratif de type 126 000, l’interviewé restitue à l’enquêteur, grâce à un questionnaire très précis et très insistant, les écoutes dont il a le souvenir conscient, avec une certaine approximation, non pas tant sur les gros évènements (écoutes longues) mais sur les minis (écoutes courtes, arrêts momentanés) et les micros-évènements (zappings, écoutes furtives …).

L’enquête déclarative basée sur plus de 140 000 interviews annuelles est difficilement remplaçable pour rendre compte de l’audience des centaines de programmes français. Elle est exhaustive, puisqu’elle prend en compte l’audience de toutes les stations, consentantes ou non.

L’audimétrie radio ne prend en compte que les stations qui acceptent d’installer des inserteurs. Elle ne mesure donc pas l’emprise du media radio de façon complète.

QUELS SONT LES AVANTAGES DE L’AUDIMÉTRIE ?

L’audimétrie est supérieure au recueil déclaratif pour identifier les contacts courts, les courants faibles dirait-on en électronique, (zappings, écoutes ou arrêts furtifs ou courts), pour mesurer des évènements datés, exceptionnels. Les répondants étant panélisés, elle permet d’étudier également les phénomènes longitudinaux (couverture au bout de plusieurs semaines, répétition …). Elle se présente donc comme un complément naturel de l’enquête téléphonique qui est centrée sur la notion de jour moyen et d’habitudes d’écoute.

Pour conclure, les définitions des audiences déclaratives et audimétriques étant radicalement différentes, il y a peu de chances que l’on retrouve à l’arrivée les mêmes audiences par station et par tranche horaire. Et c’est ce que chacun a pu constater dans les marchés qui sont passés du déclaratif à l’audimétrie.

Les annonceurs français ont confiance dans la 126 000 et le panel radio, des études rigoureuses et contrôlées avec vigilance et sagacité par le CESP. Ils se sont fort bien contentés jusqu’à présent de la mesure déclarative, heureux finalement de n’acheter que de l’audience consciente, avec un certain degré d’engagement, et en misant sur une forte répétition de leurs messages pour neutraliser l’approximation du repérage temporel dû à l’appel au souvenir : au cours des dernières 24h, les faux négatifs venant compenser les faux positifs…

En revanche, on peut comprendre que certains professionnels radio impliqués dans les programmes puissent être tentés par l’audimétrie, qui leur promet, plus rapidement et plus fréquemment, un nombre colossal d’informations comportementales sur la fréquentation de leurs contenus, informations qu’ils ne retrouvent pas toujours dans les enquêtes actuelles.

Si l’audimétrie radio parait donc encore éloignée en France, doit-on pour autant se satisfaire de la méthodologie actuelle de la 126 000 ?
Est-ce que celle-ci reste neutre ou bien n’avantage-t-elle pas certains acteurs aux dépens de certains autres ? On doit rester vigilants et s’assurer que l’enquête s’adapte en permanence aux évolutions des modes de vie des répondants. C’est ainsi qu’Hyperworld Marketing milite depuis plusieurs années aux côtés de certains de ses clients pour améliorer la joignabilité dans la 126 000, grâce à l’interrogation de davantage de mobiles et de moins de lignes fixes.

Notre mission est d’accompagner nos clients radio sur leurs résultats d’audience, et de les aider à décrypter le pourquoi et le comment des réactions aux contenus, grâce à une gamme d’études qui apportent des réponses fines à leurs interrogations. Là où l’audimétrie ou les big data restent muettes.

Arnaud de Saint-Roman
Directeur associé
Hyperworld Marketing
Plus d’infos : www.hyperworld.fr

À PROPOS DE L’AUTEUR
Après 13 ans dans le conseil en médiaplanning et l’achat d’espace (Saatchi & Saatchi, BDDP, puis Leo Burnett, dont il est le directeur médias de 1990 à 1995), Arnaud de Saint-Roman prend la direction des départements Cinéma et Radio de Médiamétrie, auxquels s’ajouteront les départements Outremer, Diversification et Convergence. En 2008 il quitte Médiamétrie et rejoint Hyperworld Marketing dont il devient en 2010 directeur associé.


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