Belgique – Déploiement de la RNT en 2012 : entretien avec Francis Goffin et Eric Adelbrecht

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RadioActu : Votre vision est claire en ce qui concerne la radio sur Internet comme complément du hertzien. Pour la Radio Numérique Terrestre il y a un multiplex en démonstration à Bruxelles pour la communauté française depuis novembre 2010, avez-vous des résultats intermédiaires ou un bilan plus concret ?
Francis Goffin : La démonstration est purement technique et non publique, dans l’objectif de nous faire une opinion sur la qualité optimale et sur le meilleur compromis. Nous diffusons pour le moment 4 débits numériques différents qui sont amenés à être évalués de manière commune entre le service public, le privé et l’autorité, sans communication vers le grand public, en se partageant des récepteurs et en essayant de se faire une idée réelle du meilleur débit à recommander pour une station de radio. Nous revendiquons pour notre radio classique RTBF un débit un peu supérieur tandis que pour les plus petites radios, des débits inférieurs et donc moins couteux seraient peut-être intéressants comme formule intermédiaire.
Éric Adelbrecht : Nous venons de recevoir aujourd’hui les récepteurs pour nous permettre d’analyser les tests qui sont effectués et de partager les conclusions. L’idée étant vraiment de se donner une idée réelle de ce que pourrait être la norme utilisée et l’espace utile pour ce que nous voudrions faire à terme.

RadioActu : En septembre, dans le magazine « Face à Face » vous étiez très positif sur le lancement de la RNT en DAB+. Maintenant que la RNT est officiellement lancée au niveau national en Allemagne, quelle est votre feuille de route ou que vous manque-t-il pour vous lancer ?
Éric Adelbrecht : D’une part, la confirmation technique de ces tests et l’analyse technique afin de voir si effectivement cela semble bien être la norme qui se confirme, en tout cas pour notre partie de la Belgique. Une fois que nous aurons ces analyses là, nous devrons mettre en route tout le dispositif pour l’appel d’offre et la mise en route de l’utilisation d’un opérateur technique pour le déploiement du projet en tant que tel.
Francis Goffin : Nous avons la chance de nous retrouver en Belgique sur un territoire où, pour le moment, aucune radio DAB+ n’est distribuée. Pour les tests, nous les avons achetés en Angleterre et en Suisse, donc c’est vraiment tout frais. Pour moi, la norme ne fait plus l’ombre d’un doute, c’est le DAB+. Mais à l’intérieur du DAB+ il y a plusieurs possibilités de débit. Nous travaillons actuellement sur l’utilisation du DAB+ et comment construire les multiplexes, leur architecture. Nous sommes dans un terrain en friche, ce qui est une chance, comme l’était la construction de la FM fin des années 70. Ici nous sommes dans un champ complètement vierge qui est ce spectre numérique totalement vierge et fabuleux. Une mine d’or pour l’intérêt de la Radio. Nous devons donc trouver une formule d’architecture de cette nouvelle friche afin de la cultiver et de la rendre intéressante au profit de tous. Et ce sera vraiment « main dans la main », en opposition avec la culture de la FM qui était une culture très individualiste du « chacun pour soi et je te pousse ». Nous sommes là dans le multiplexage, tout le monde passe ou personne ne passe. C’est une notion radicalement différente et très intéressante car nous pouvons nous concentrer sur les contenus, nos missions, nos valeurs, nos intérêts commerciaux ou autres. On sait que la distribution n’est pas un problème, elle est plutôt un atout.

RadioActu : Est-il possible de suivre le travail déjà entamé en France en termes de multiplexage ?
Francis Goffin : Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les Suisses. La Suisse qui s’est lancée dans le DAB+ depuis un peu moins de 2 ans, y est de manière volontariste avec des multiplexes public/privé dans les 3 communautés linguistiques du pays et avec une société de promotion du DAB+. Il y a des partenariats entre éditeurs de services -des radios – et distributeurs de récepteurs qui sont un modèle vraiment intéressant et que l’on suit avec beaucoup d’intérêt. Les contacts les plus étroits que nous avons sont avec les Suisses parce qu’ils nous semblent, en Europe continentale, les plus avancés en termes de promotion de la norme numérique DAB+
Éric Adelbrecht : Et les plus proches aussi de notre problématique et de la construction d’un pays comme le nôtre. Le modèle français peut être un exemple pour nous pour les pièges à éviter dans toute cette avancée. Car c’est très complexe effectivement, les normes sont différentes, les marchés sont différents. On suit cela avec attention. Les grands marchés sont toujours intéressants mais c’est vrai qu’il y a sans doute des autres enjeux et des philosophies différentes. Il est vrai que la Suisse, ce petit pays qui est aussi un partage de communautés comme le nôtre, est assez intéressant et déjà bien avancé. Cela montre bien que les petits pays ont peut-être quelque chose à jouer. Nous avons une taille sans doute moins importante que des gros marchés plus lourds, avec plus d’enjeux. La suisse est un beau modèle.
Francis Goffin : J’étais à Neufchâtel il y a 3 semaines et j’avais pris avec moi un petit récepteur DAB+, un petit Pure One. Je l’ai branché à l’hôtel quand je suis arrivé et j’ai scanné 34 ou 36 radios DAB+. Une offre incroyable par rapport à ce que l’on avait à Neufchâtel en FM. C’est incomparablement plus riche. Il n’y avait pas de suggestion, pas d’ordre alphabétique, de classification publique/privé, il y avait un mélange complet et l’on pouvait picorer, sans problèmes de fréquence, dans le choix de l’offre radio, c’est fabuleux ! C’est un tout autre concept, une toute autre approche qui permet à la radio de dépasser cette barrière de la diffusion FM qui est aujourd’hui, en communauté française de Belgique, très aiguë. La saturation de la FM est peut-être plus aiguë qu’ailleurs et nous sommes peut-être plus enclins qu’ailleurs à nous lancer vers une distribution digitale. Outre tous les aspects digitaux du DAB+ comme les métadonnées qui sont pour la première fois diffusées en broadcast.
Éric Adelbrecht : Je crois qu’il y a aussi un élément pour revenir sur la chance que nous avons aujourd’hui, comme le disait Francis. Nous sommes en train de travailler dans l’autre sens. Il y a plus de 30 ans, chacun s’est tout accaparé. C’est devenu le paysage FM, en tous les cas chez nous. Aujourd’hui, nous avons la FM qui est en vitesse de croisière, qui est installée. Avec la RNT, nous avons un modèle vide et nous allons pouvoir construire, du moins envisager, la construction suivant des modèles et des orientations spécifiques à chacun : service public, privé, produits associatifs, radios indépendantes. Dans le modèle que nous devons construire, nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir regarder tout cela et essayer de répondre aux différentes demandes dans une vision claire et je pense que c’est un véritable atout.

RadioActu : En France, le Rapport Kessler n’est pas encore sorti et les grands éditeurs de services ne désirent pas ou plus se lancer dans le numérique hertzien. Qu’est-ce qui vous fait dire que la Radio Numérique Terrestre est l’avenir de la radio ?
Francis Goffin : C’est tellement évident. Il y a tellement d’arguments qui vont dans le sens. C’est le courant de l’histoire naturelle et si certains opérateurs français ne souhaitent pas y aller c’est une question de temps, ils changeront d’avis. Comment peut-on défendre une vision d’un média analogique dans un univers tout numérique. L’anachronisme de la radio analogique est de plus en plus frappante et de plus en plus pénalisante.
Éric Adelbrecht : Je crois que c’est Jean-Paul Baudecroux qui disait il y a déjà quelques années : « Quel est le dernier endroit ou l’on peut encore entendre la musique en analogique ? C’est la FM ! » On parle de HD, de télévision 3D avec un naturel hallucinant, pourquoi est-ce que ce ne serait pas la même chose en radio ?

RadioActu : Quelle est selon vous la valeur ajoutée principale de la RNT ?
Francis Goffin : Elle est multiple. Les radios qu’elles soient publiques ou privées ont une garantie de meilleure diffusion. À terme, à moindre coût que la FM. Meilleure diffusion, meilleure possibilité de toucher les auditeurs et à terme moindre coût, si je fais la parenthèse du simulcast qui est une période où les coûts doivent s’additionner. Tout en sachant que le DAB+ coûte nettement moins cher que la FM, on parle d’une dizaine de fois moins cher. C’est tout de même significativement moins cher en tous les cas sur notre petit territoire. C’est peut-être différent pour un grand territoire comme la France et le bénéfice auditeur est clairement double. C’est l’offre supérieure. Cela peut être une opportunité pour les éditeurs, puisque c’est la possibilité pour des groupes en place d’avoir la possibilité de décliner en broadcast, et non plus uniquement sur internet, des versions de leurs programmes qui sont complémentaires de leur offre. Pour l’auditeur, c’est clairement avoir moins de problèmes de réception. Il y a donc un bénéfice commun. Sans oublier les données associées pour donner une dimension de textes et d’images, même si l’on sait que le DAB+ ne permet pas d’afficher la vidéo, contrairement au DMB. On peut créer une radio imagée ou partiellement visuelle dans un monde numérique d’écrans qui s’implantent partout. Nous avons tendance à écouter la radio sur un écran bien souvent noir.
Éric Adelbrecht : Oui, c’est l’attractivité de la radio au sens large que ce soit en termes de couverture et que ce soit en termes de captabilité et d’attractivité de tout ce que l’on pourra proposer comme valeur ajoutée. Comme des pochettes, des vidéos associées, de l’interactivité avec les auditeurs. Je pense que c’est cela qui fait la différence. Tout cela est à construire, à identifier. En TV c’est tellement visuel. Lorsque l’on voit la différence entre la 3D et la HD cela frappe aux yeux, c’est normal et on ne va pas hésiter une seconde à aller acheter le nouveau poste HD Ready ou 3D Ready. En radio, c’est à nous de créer cette attractivité et c’est vrai que c’est cette norme là qui nous le permettra.
Francis Goffin : Le côté sexy de la radio. On a plus rien invité sur le plan technologie du média en tant que telle. En FM, la dernière révolution technologique c’est le RDS TMC qui était un ajout à la FM dans les années 80. Depuis on a rien fait. A côté de nous, la télévision à offert d’abord l’écran plat, la HD, la 3D et puis maintenant la Télévision connectée hybride. La télévision que l’on disait perdante sur le terrain de l’audience a su reconquérir un attrait auprès du consommateur et du citoyen grâce notamment à son côté technologique, sexy et attrayant. Si l’on rentre aujourd’hui dans un magasin de distributeur d’équipements audiovisuels, il faut chercher la radio. On est envahi d’écrans de toutes sortes depuis la tablette, les smartphones et les télévisions de toutes formes et toutes natures d’écran. Y compris la 3D mais à un prix complètement inaccessible. La radio elle, a disparue. La Radio Numérique est la possibilité de revenir, de se rappeler que l’on existe et que c’est média qui peut aussi avoir un attrait technologique. L’interactivité c’est important, la qualité audio évidement, à côté de cela la dimension texte et image, même si ce n’est pas de la vidéo. Avec la radio hybride on peut y arriver grâce à la radio connectée. Dernière chose, avec la radio hybride, c’est l’interactivité qui est un monde nouveau mais qui est aujourd’hui le monde dans lequel sont nés les jeunes. Ils ont l’habitude de pouvoir réagir quand ils entendent quelque chose et quand ils voient quelque chose pour dire s’ils aiment, s’ils n’aiment pas, s’ils sont fans et pouvoir tagger. Ce sont des choses que la radio FM ne peut pas offrir. Comment se priver de cela dans un horizon de 10 ans ? Cela nous paraît complètement suicidaire !

RadioActu : Le gouvernement français ne semble pas vouloir aider le lancement de la RNT sauf pour les associatives. En Australie, en Allemagne, de manière différente, les aides sont présentes. Pensez-vous pouvoir démarrer la RNT sur la Belgique francophone sans aide de l’état Belge ?
Éric Adelbrecht : Pour nous clairement, non. Parce que c’est un principe. Il faut à un moment donné qu’il y ait un acte politique qui soit fait pour ouvrir et être le déclencheur de quelque chose. Il ne serait pas normal à un moment donné que nous soyons obligés d’être les éléments moteurs et économiques de ce développement là. Donc il y a un signal qui doit être fait, c’est ce qu’on attend et c’est là-dessus que nous devons travailler aussi pour qu’il y ait ce déclic. Cela facilitera le développement et tout l’intérêt aussi qu’on portera à ces projets là. Pour le développement économique des radios privées, on connaît le coût en termes de diffusion. Ils sont importants et seront importants encore pour quelques années. Si en plus on doit prendre en charge les développements de tout l’aspect numérique, il y a un moment où l’on se dit pourquoi y aller ? Il n’y a pas de raisons. Je pense que cela fait partie du signal politique de nous dire, vous allez y aller et nous allons vous aider à y aller. Et nous avons intérêt à tous ensemble y aller.
Francis Goffin : Pour le service public, c’est un point de départ d’analyse qui est un peu différent. Tout d »abord nous avons l’avantage d’être déjà en DAB, donc l’upgrade DAB+ n’est pas inaccessible. Nous pourrions donc décider d’y aller et continuer à promouvoir nous-mêmes une nouvelle norme, ce à quoi nous ne croyions pas du tout. Nous pensons que l’avenir sera collectif dans une dynamique nouvelle qui inclut tous les opérateurs. Nous prenons en compte le point de vue des radios privées et nous le respectons. Donc, effectivement, si nous pouvons trouver une dynamique commune avec, en étant réaliste, un coup de pouce de l’état pour une migration vers le numérique, tout en sachant que l’état ne paiera pas toute la migration mais probablement peut-être une partie, clairement nous nous inscrivons dans cette dynamique là. Nous savons qu’elle sera collective et que la migration ne se fera que si tout le monde y va. Nous prenons en compte la considération et le point de vue des privés. Nous sommes dans une même dynamique pour aller ensemble solliciter, dans la mesure des possibilités économiques et dans les circonstances actuelles des finances publiques, avec un peu de réalisme en tête. Nous avons la chance d’être un petit territoire. Les investissements ne sont pas gigantesques. Mais nous sommes d’accord sur une approche pour trouver une aide commune publique qui permette de donner le coup d’envoi qui sera probablement celui qui va donner le coup de boost au démarrage de tous le monde en simultané.

RadioActu : Le HBB – Hybride Broadcast Broadband – est une solution intelligente d’optimisation du spectre mobile, IP et hertzien audiovisuel. Avez-vous commencé des développements spécifiques hybrides à ce jour, si oui lesquels et quelle est votre vision de l’avenir hybride ?
Éric Adelbrecht : Il y a du pour et du contre. C’est vrai qu’aujourd’hui en termes de développement et d’évolution, nous ne sommes pas très avancés. La notion d’hybride est intéressante, mais il faut voir jusqu’où l’on va. Nous pensons très fort que l’accessibilité de la radio, que ce soit en DAB+ ou sur d’autres supports, c’est important. Il faut proposer à un large public la possibilité de nous suivre. Aujourd’hui, il est clair que l’écoute sur Internet, la possibilité d’avoir des données associées, c’est très bien, mais il ne faut pas se voiler la face. Cela ne rapporte rien. Ce modèle économique pour nos entreprises commerciales est assez difficile à imaginer comme quelque chose à part entière. Donc cela doit faire partie de toute une série d’éléments. C’est quelque chose qui devra à un moment donné être monétisé. On est encore au b.a.-ba de tout cela et qu’on est en train de réfléchir à ces normes là.
Francis Goffin : Éric a raison. D’ailleurs, l’idée de la radio hybride est toute récente, elle a moins de 2 ans, donc nous n’avons encore aucune expérience. On s’y intéresse au plus haut point. Nous venons de devenir membre de RadioDNS qui est l’organisme qui développe de manière partagée le concept de radio hybride et donc d’un standard qui interface le broadcast quel qu’il soit, quelle que soit la norme, même la FM, avec le monde d’Internet. Nous trouvons que c’est vraiment intéressant. J’y vois surtout un gros avantage, c’est l’interactivité. Donc la voie de retour que l’on n’a pas en radio aujourd’hui et que la radio hybride apporte. Pour le reste, on est dans le modèle sous IP. La radio hybride est un modèle qui favorise d’abord la consommation de la radio, donc du flux audio par le broadcast. Cela me paraît très important tant pour les auditeurs que pour les éditeurs – les radios – de continuer à avoir un modèle broadcast qui se complète par la radio hybride qui apporte la voie de retour et qui peut apporter l’enrichissement des métadonnées. Mais je suis aussi concerné par les interrogations que cela pose sur le modèle économique. Nous sommes aussi attentifs à ce que l’on puisse peut-être imaginer des modèles qui conservent évidemment le modèle de la radio gratuite. C’est quand même la première source de culture/information/divertissement que l’on peut le mettre dans l’ordre que l’on veut en fonctions des entreprises qui nous occupent et qui soit véritablement gratuite pour tout le monde. C’est quelque chose qui est intéressant à garder. D’un autre côté pourquoi est-ce que la radio se priverait de revenus additionnels qu’elle peut faire par des services complémentaires ou par de la radio véritablement très enrichie que certaines plateformes sont prêtes à rémunérer ?

RadioActu : Avez-vous une date potentielle de démarrage de la RNT en Belgique ?
Francis Goffin : Il y a deux dates qu’il faudrait retenir. 2011 devrait être une année d’entérinement de toute la stratégie qui est dans l’air depuis 6 mois. Le gouvernement doit agir parce que c’est tout de même lui qui a la clé. Les opérateurs doivent trouver une formule d’association pour le multiplexage, et la distribution doit désigner l’opérateur pour le multiplexage. Puis le déploiement. Le déploiement serait plutôt début 2012.
Éric Adelbrecht : Pas mieux. Je pense qu’il faut en effet être réaliste. Je pense qu’il y a une date qui est celle de 2011 où nous devons activer pas mal de choses qui sont plutôt de l’ordre politique et puis après nous nous en route en 2012. Ça peut aller vite …
Francis Goffin : À partir du moment où la volonté des autorités publiques et des opérateurs y est, cela peut aller vite. La Hollande est en train de bouger avec un agenda fin 2011, on sent que ça change dans la bonne direction. C’est vraiment très gai.

Propos recueillis par Philippe Chapot pour RadioActu


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