Bruno Laforestrie – Le Mouv’, pas un « concept musical », mais un « concept de média global pour la jeunesse »

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Radioactu : Votre parcours et vos réalisations – vous avez été à la tête de Générations, présidez l’association Hip Hop Citoyens, publié une tribune engagée sur l’échec du Mouv’ – ont fait de vous le « client » idéal pour prendre la tête du Mouv’. Quels sont vos liens avec Mathieu Gallet et dans quel contexte vous a-t-il nommé à la direction de la station ?
Bruno Laforestrie : Je viens d’abord de l’internet, j’ai fondé le groupe Hi-media et ai été parmi les premiers à travailler sur l’internet en France, en 1996. Hi-media a été introduite en bourse en 2000 et représente une réussite encore existante. J’ai également beaucoup travaillé dans la presse musicale en éditant des magazines comme Magic, Vibrations, Radikal. Mon parcours s’est fait à la fois dans la musique, la radio et le digital. Nos sujets sont aujourd’hui au croisement de toutes ces expériences. Je fais de la radio depuis vingt ans et viens en tant que passionné et professionnel ayant vécu le développement d’une des stations qui a marqué la radio ces dix dernières années. Je viens aussi avec une vision des mutations dans les domaines de la musique et du digital. J’avais croisé Mathieu Gallet dans un cadre institutionnel (Sacem, etc) mais n’avais jamais travaillé avec lui. Il a proposé un projet de relance d’une radio jeune au sein du service public. Sur dossier, sur CV, je pense avoir été l’un des mieux placés pour le faire. J’ai aussi beaucoup eu l’occasion d’échanger en amont avec Frédéric Schlesinger (directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France depuis mai 2014, ndlr) qui est un professionnel de la radio. Nous nous sommes mis d’accord sur l’idée et le projet.

Radioactu : Pour quelles raisons Le Mouv’ était-il en échec jusqu’à présent ?
Bruno Laforestrie : Il y a eu plusieurs Mouv’. Le Mouv’ est clairement une radio à destination de la jeunesse, très axée sur la musique sous ses différents directeurs, de 1997 à 2008. Le Mouv’ était une radio musicale, qui ne faisait pas seulement de la musique mais qui traitait de sujets culturels, de l’information. Il existait un fondamental sur les questions sociétales et de jeunesse, mais c’était principalement une radio musicale. Le Mouv’ avait globalement dans son cahier des charges le fait de faire une radio qui touche les jeunes. Compte tenu de son réseau, elle avait une audience correcte, voire parfois très bonne jusqu’en 2006-2007. Elle a fait entre 400 000 et 600 000 auditeurs, ce qui représentait un peu moins d’un point. Le Mouv’ était une alternative aux réseaux commerciaux musicaux, notamment en régions. Dans certaines villes, elles avait enregistré 5, 6 voire 7 points d’audience au niveau local. Je connaissais Le Mouv’ comme une radio musicale et ce qu’elle était devenue à partir de 2009, année à partir de laquelle elle a perdu son positionnement. Mon analyse est de dire : à partir du moment où Le Mouv’ n’a plus mis la musique au centre de son dispositif, elle a perdu une grande partie de son audience.

Radioactu : Quelle est votre ambition et que mettez-vous en oeuvre depuis cette rentrée pour servir cette ambition ?
Bruno Laforestrie : Nous redonnons du poids à la programmation musicale et aux gens talentueux qui l’élaborent. Nous avons remis le pôle de programmation musicale au centre du dispositif tout en laissant la possibilité de s’exprimer. Ce premier acte fort consiste à dire qu’une radio musicale est un savoir-faire que l’on essaie d’appliquer au mieux sur notre antenne au travers d’une programmation musicale. Le deuxième acte était de constater que, dans une radio qui a perdu beaucoup de son audience, on ne peut pas recréer une dynamique au travers d’un nombre trop important de rendez-vous sur l’antenne – il y en avait une trentaine. Nous avons été obligés de retravailler sur certains fondamentaux en donnant un peu d’espace. Nous avons donc recréé des plages importantes d’environ trois heures pour apporter plus de fluidité. Dans une radio en reconquête d’audience, il est nécessaire que l’auditeur puisse retrouver quelques critères et quelques repères à tout moment. C’est ce que nous allons essayer de faire, y compris concernant l’animation.

Radioactu : Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Bruno Laforestrie : Musicalement, nous voulons apporter des repères sur les morceaux mis en avant. Nous souhaitons aussi que les animateurs ne changent pas toutes les demi-heures. Auparavant il y avait un 6-7 et un 7-9. Aujourd’hui, c’est un 6-9. Un certain nombre de rendez-vous étaient courts ; nous avons souhaité les arrêter cette saison pour que les animateurs et l’antenne aient au moins trois heures devant eux sur chacune de leur tranche.

Radioactu : Cette formule est-elle simple à appliquer ? La formule « rendez-vous courts » est en effet assez présente sur les antennes de Radio France, alors que les radios musicales privées utilisent davantage les plages longues que vous décrivez pour Le Mouv’…
Bruno Laforestrie : Ce n’est pas à vous que je vais apprendre qu’il existe plusieurs types de radios dans le groupe. Fip et France Bleu n’ont pas la même stratégie que France Culture et France Inter. Sur France Bleu, il existe par exemple des rendez-vous longs… Concernant Le Mouv’, la seule contrainte que nous nous fixons avec Frédéric Schlesinger est d’essayer d’aller au contact de nos auditeurs, donc de ne pas négliger la réalité. Si les radios que notre cible jeune écoute ont un fonctionnement qui permet de donner des rendez-vous assez longs avec des animateurs clef, rien ne nous empêche de le faire. Mais nous ne sommes pas obligés de dupliquer le fonctionnement des autres. En 2009, quand l’ancienne direction, sous la présidence de Jean-Luc Hees, a pris la décision de ne plus faire une radio musicale et de se rapprocher un peu plus du modèle de France Inter par exemple, cela a été appliqué sur l’antenne. Aujourd’hui, il a été décidé de faire une radio jeune, qui assume de toucher cette cible, avec une dominante musicale. Nous appliquons donc les méthodes que nous avons apprises par ailleurs. Je ne suis pas du tout dans une logique de copiage, ni de compétition ou de concurrence. Je me base sur nos convictions et notre savoir-faire pour trouver les éléments qui nous permettent d’exposer au mieux notre programme.

Radioactu : Malgré tout la concurrence existe…
Bruno Laforestrie : On ne copie pas la concurrence mais bien entendu nous faisons en fonction d’elle. Nous prenons acte que la durée d’écoute peut baisser sur des radios jeunes car les modes de consommation évoluent sur cette cible. Dans cette durée d’écoute, il est compliqué d’installer des rendez-vous courts. Mon mot d’ordre est de dire : branchons-nous à la réalité culturelle et aux modes de consommation, et faisons un programme lié à cette réalité. Nous ne faisons pas de déni de réalité. Dans la programmation musicale, on n’hésite pas à rentrer des titres « qui peuvent fonctionner », sans proposer uniquement cela pour autant. Parallèlement nous prenons acte que les modes de consommation de la radio par les plus jeunes ont évolué en terme de portabilité, durée d’écoute… Notre programmation est adaptée à ces modes de consommation.

Radioactu : La part importante occupée par la musique sur Le Mouv’ est donc une politique de long terme…
Bruno Laforestrie : Oui, nous l’avons affirmé et dit de nouveau à la conférence de presse de rentrée : Le Mouv’ a été et sera une radio à dominante musicale. Dans un réseau FM jeune, qui couvre presque 27 millions de personnes sur des villes souvent étudiantes et jeunes, notre première force est de proposer une programmation musicale la plus adaptée aux gens que nous touchons ; la deuxième est que nous possédons une rédaction dirigée par notre rédacteur en chef Nour-Eddine Zidane. Cette rédaction interne est capable d’accompagner les auditeurs sur autre chose que la programmation musicale. Compte-tenu du fait que nous avons moins de publicité, nous avons plus d’espaces d’expression, plus d’espaces pour la musique et la culture. Nous avons ce que j’appelle la « musique enrichie » d’un côté, et de l’autre une ligne éditoriale et une rédaction.

Radioactu : Comment qualifiez-vous à ce jour la couleur musicale du Mouv’ ?
Bruno Laforestrie : Le Mouv’ est une radio ouverte musicalement, qui est en adéquation avec ce qu’écoutent les 13-30 ans, notamment ce que nous avons pu voir dernièrement dans le top 100 streaming Snep. Si vous regardez notre top 15, environ 50% des titres sont ce qui s’écoute en streaming. Nous identifions ce que les gens veulent et aiment écouter tout en leur faisant découvrir autre chose.

Radioactu : Vous n’employez pas de nom de styles musicaux. Est-ce volontaire ?
Bruno Laforestrie : Le travail qui a été fait est un travail de structure. Il s’agit de faire en sorte que Le Mouv’ se remette en interface avec la musique telle que notre audience veut l’écouter. A l’heure à laquelle je parle, Le Mouv’ n’est pas un format. Nous jouons des morceaux qui sont plébiscités pour certains et des découvertes pour d’autres.

Radioactu : Le Mouv’ peut donc aussi bien passer du rock, que de la pop, du hip hop que de l’électronique ?
Bruno Laforestrie : Si l’on regarde les principaux artistes diffusés actuellement – Ben l’Oncle Soul, Christine and the Queens, Coldplay, Disclosure -, on constate qu’ils viennent de différents courants musicaux. Si l’on décide un jour de se resserrer sur un segment musical – par exemple plus urbain, électro – nous prendrons cette décision et l’appliquerons avec cette même méthodologie. Nous avons aujourd’hui tous les indices pour faire le bon choix pour proposer une véritable alternative musicale. Je vous parle du Mouv’ de ce mois de septembre. L’enjeu est de comparer ce que le Mouv’ était en juin et ce qu’il est aujourd’hui. En juin, il avait déjà essayé de revenir dans la musique. Il l’était beaucoup moins il y a un an, et aujourd’hui Le Mouv’ est vraiment dans la musique. Nous affinons notre stratégie musicale et n’allons pas nous contenter de proposer un concept musical, mais un concept de média global pour la jeunesse.

Radioactu : Regardons à l’étranger : que pensez-vous par exemple du concept de la BBC, qui a lancé sa radio de musiques urbaines 1Xtra en 2002 ?
Bruno Laforestrie : Je regarde beaucoup cette radio. Le paysage radiophonique est différent en Angleterre et en France, mais les Anglais, notamment la BBC, n’ont jamais eu de souci pour dire qu’ils bâtissaient un média jeune et populaire. Ils sont capables de toucher cette cible et de jouer la musique populaire au sens « pop » du terme, à l’anglaise. En France, il existe un vrai sujet autour du concept de « musique populaire ». J’assume cela : on peut faire un média jeune et populaire, y compris concernant les musiques que l’on retrouve dans les iPod et téléphones de notre cible. J’assume globalement la stratégie de la BBC, qui était de dire que BBC1 est une radio jeune et populaire qui joue les « tunes », les « hits ». Quand ils se sont rendu compte que les « black music », les musiques électro, le « grime »… toutes les formes musicales que l’on peut trouver en Angleterre n’étaient pas assez représentées, ils ont créé un canal Xtra, qui a touché son public et qui a eu du succès. Cette réflexion qui consiste à dire « est-on vraiment présents sur tous les segments musicaux » aurait peut-être dû avoir lieu au Mouv’ il y a 5-6 ans. Nous sommes en train de nous poser la question et de faire en sorte d’aller où on nous attend car nous considérons avoir une place à prendre, notamment dans les villes, pour proposer une alternative musicale à l’existant.

Radioactu : Dans votre tribune « A quand le grand Mouv' », publiée sur le site français du Huffington Post en février, vous disiez « C’est en recréant du débat, du lien et pourquoi pas en direct sur son antenne, en laissant s’exprimer la passion voire la colère que la jeunesse avec tous ses talents se réappropriera son média. » Estimez-vous que les passions s’expriment déjà sur des médias concurrents privés, comme Skyrock et Fun Radio, pour ne citer qu’eux. Quelle est votre différence, votre valeur ajoutée ?
Bruno Laforestrie : Notre valeur ajoutée est d’avoir une rédaction, un savoir-faire journalistique qui n’existe pas chez Skyrock, par exemple. Notre rédacteur en chef Nour-Eddine Zidane est un grand reporter qui a notamment passé de longues années chez France Inter et qui est garant de l’angle et de la stratégie éditoriale au niveau de l’information et des échanges avec notre public. Je considère que la musique est un service public quand on amène et que l’on promeut la diversité musicale au sens large du terme. Dans ce flux musical, nous allons mettre en place le fait d’amener une information, un regard sur le monde, des reportages et une vision à moyen terme…. Je ne peux pas vous en parler en détails, mais Nour-Eddine Zidane et la rédaction vont proposer un projet assez fort permettant de se projeter dans les prochaines années et de traiter la réalité de ce que vivent les jeunes générations actuelles à l’aune de ce qu’on sait de ce qu’ils feront et auront dans cinq ans. Nous allons être à la fois un média de l’interaction, de la réactivité, et aussi de la prospective. Nous considérons que c’est notre travail de préparer les générations de demain… Les gens qui ont 18 ans aujourd’hui en auront un jour 25. Certains auront un travail, d’autres non. Nous sommes là pour expliquer comment est le monde aujourd’hui et comment il peut devenir selon différentes hypothèses. Nous souhaitons les faire participer à tout cela. C’est l’un des grands projets éditoriaux que nous allons mettre en oeuvre.

Radioactu : Quels résultats d’audience vous êtes-vous fixés ?
Bruno Laforestrie : Mathieu Gallet a fixé des objectifs à ses chaînes. Le Mouv’ est une radio nationale mais ne possède pas un réseau aussi puissant que ceux de ses concurrents. Le Mouv’ a déjà fait 1% d’audience et devrait pouvoir le refaire. C’est un des objectifs que nous pouvons déjà nous fixer. Nous ne nous sommes pas donné de délais précis, mais nous tendons vers cela.

Radioactu : Personnellement, quel score pensez-vous que Le Mouv’ peut établir avec le projet que vous êtes en train de mettre en oeuvre ?
Bruno Laforestrie : Nous travaillons sur un projet « on air on-line on me ». Nous sommes les premiers à Radio France à avoir créé une direction des antennes au sens large. « On air » correspond au canal FM, « on-line » correspondant à l’ensemble de nos réseaux et le « on me » à l’ensemble de notre interactivité. Aujourd’hui, les critères d’audience vont être triples. Concernant le réseau FM du Mouv’, il a déjà historiquement enregistré 1% d’audience. Ce score n’est donc pas inaccessible. L’univers concurrentiel a changé et est certainement plus important. Par exemple, une radio comme NRJ a reconquis une partie des jeunes là où Skyrock en a perdu un peu. Mais Le Mouv’ peut et doit atteindre ce qui a déjà été fait dans le passé.

Radioactu : Avez-vous des choses à ajouter ?
Bruno Laforestrie : Je m’inscris vraiment dans le projet de Monsieur Gallet tel qu’il l’a exprimé au CSA. Le premier projet était un projet éditorial, mais aussi managérial : mettre en route et faire en sorte que le fonctionnement d’une entreprise publique s’inscrive dans une dynamique. Je viens de la PME, voire de la TPE et de l’association. J’ai vécu de nombreuses expériences différentes durant ces vingt dernières années, souvent dans de petites et moyennes entreprises, y compris des start-up. Je suis un entrepreneur culturel, je l’espère au sens positif du terme. Je suis gré à Mathieu Gallet et Frédéric Schlesinger de pouvoir faire en sorte que des profils un peu comme le mien – qui n’ont pas toujours évolué dans de grosses structures -, puissent venir pour travailler avec des équipes qui ont une autre expérience et développer un nouveau projet. C’est un sujet important qui met une dynamique en interne et porte un autre regard. A partir de là nous pouvons entamer une réussite car les jeunes qui écoutent Le Mouv’ ont différentes expériences, différents profils. Je fais partie de ceux qui ont eu différentes expériences, différentes vies professionnelles et j’espère pouvoir drainer derrière moi un certain nombre de réussites, en tout cas pour le groupe Radio France.


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