ÉDITO – Pourquoi l’avenir de la radio passe (aussi) par la RNT

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Depuis 15 ans, d’atermoiements en reculades et de groupes de travail en rapports en tout genre, la radio numérique est en train de devenir une chimère. Aujourd’hui, le déploiement de la RNT en France va connaître une période cruciale. Appliquant un principe de prudence budgétaire, le gouvernement a en effet indiqué qu’il n’engagerait pas Radio France et RFI sur la radio numérique à Paris, Marseille et Nice, tout en se réservant « la possibilité d’un engagement futur ». En ces temps de disette budgétaire, la prudence du gouvernement peut paraître louable, mais l’est-elle vraiment quand il s’agit, pour quelques dizaines de milliers d’euros, d’hypothéquer sérieusement le développement et l’avenir de la filière radio ? Pourtant, quelques minutes de publicité supplémentaires sur les antennes publiques peuvent largement suffire à financer la diffusion de Radio France en RNT. En 2006, aurait-on pu imaginer la TNT sans les chaînes publiques de France Télévisions ? Certainement pas. Et pourtant, le gouvernement s’apprête à imaginer la RNT sans les radios publiques de Radio France. Fort heureusement, il reste encore quelques aventuriers assez fous pour croire à la RNT. Dès lors, la France va-t-elle connaître une situation similaire à 1981, où seuls quelques pionniers s’étaient lancés dans l’aventure de la FM, sous l’oeil sceptique des stations périphériques, alors en situation de monopole de la radio privée ? À l’époque, ces dernières s’étaient opposées à la création de stations commerciales privées, estimant que le marché publicitaire ne permettrait pas de financer ces nouvelles stations. 30 ans plus tard, ce marché publicitaire assure le financement de plus d’une vingtaine de réseaux nationaux ou multi-villes privés et de plusieurs dizaines de radios privées régionales. Au fil des décennies, ceux qui furent les défenseurs de la radio dite libre se sont métamorphosés en barons bien installés à la tête d’empires considérables. De petits arrangements entre amis en rachats sauvages de fréquences et d’asséchement des marchés publicitaires pour mieux étrangler la concurrence, ils ont imposé pendant des années leurs volontés aux pouvoirs publics pour mieux asseoir leur puissance. Mais ces grands groupes privés ont oublié une chose : ils se sont développés sur un bien public – les fréquences FM – qu’ils ont, dans cet impitoyable monde capitaliste, l’incroyable privilège de pouvoir exploiter gratuitement.

N’a-t-on pas entendu les directeurs techniques de ces groupes privés débattre à n’en plus finir de la question de la norme, pour imposer le T-DMB et finalement expliquer de manière assez grotesque que la radio numérique arrive trop tard et que de toute façon la norme est obsolète, tout en lui préférant la modulation de fréquence qui fêtera son 70ème anniversaire en 2013 ? L’histoire est en effet un perpétuel recommencement. Il est bon ici de rappeler que la FM a été mise au point en 1933 par l’américain Edwin H. Armstrong (photo ci-contre). Ce dernier s’est battu toute sa vie pour le développement de cette nouvelle technologie de diffusion de la radio. Pourquoi la FM, dont le signal est plus robuste que celui de l’AM, avec une qualité sonore incomparable, de faibles coûts de diffusion et permettant la création de nouvelles stations ne s’est-elle pas imposée ? Car son déploiement s’est heurté aux intérêts financiers de la RCA, alors toute puissante aux États-Unis sur le marché de la radiodiffusion AM. Pendant plus de 15 ans, Edwin H. Armstrong luttera contre la RCA. Cette dernière ira même jusqu’à faire voter en 1945 une loi pour déplacer la bande FM de 44-50 MHz à 88-108 MHz et rendre ainsi tous les récepteurs obsolètes. Ruiné par ses procès contre RCA, Edwin H. Armstrong, père de la FM, s’est suicidé le 1er février 1954 à New-York City. L’opposition de RCA dans les années 40 contre le déploiement de la FM pour préserver ses positions sur la bande AM aux États-Unis n’est pas sans rappeler aujourd’hui l’opposition des grands groupes privés français contre le passage à la diffusion numérique de la radio.

L’arrivée de la RNT, qui se traduira notamment par un accroissement sensible de l’offre radiophonique, va surtout permettre l’arrivée de nouveaux entrants géographiques qui, faute de place sur une bande FM saturée, n’ont guère d’autres possibilités que la diffusion numérique pour poursuivre leur développement. Et c’est précisément ce que redoutent les grands groupes privés, solidement installés dans un parc de fréquences FM qui a atteint ses limites. Car les prétextes économiques invoqués par ces derniers pour s’opposer au déploiement de la RNT semblent bien dérisoires. Ces dernières années, les quatre grands groupes privés que sont Lagardère, NRJ Group, NextRadioTV et RTL Group ont en effet englouti des dizaines de millions d’euros pour développer et créer de toutes pièces de nouvelles chaînes de télévision sur la TNT, sans aucune garantie de retour sur investissement, et sans demander l’aide des pouvoirs publics pour financer leur diffusion sur le territoire national. Ils n’hésitent pas, en dépit de la crise économique qui leur permet de justifier leur retrait de la RNT, à lancer de nouvelles chaînes de TV en décembre prochain, qui vont venir ponctionner davantage un marché publicitaire qu’ils qualifient eux-mêmes de morose. De même, ils ne sont jamais inquiétés de savoir si les Français avaient les moyens de troquer leurs vieux téléviseurs cathodiques contre des écrans plats 16/9ème HD dernière génération coûtant plusieurs centaines d’euros pour recevoir ces nouveaux programmes. Or, les coûts de fabrication et de diffusion d’une chaîne de télévision sont infiniment plus élevés que celui d’une radio, fut-elle généraliste. Depuis des années, ils invoquent « un manque de visibilité du marché publicitaire », ce qui ne les empêchent pas de réaliser chaque année de confortables bénéfices, en dépit des investissements colossaux consentis pour lancer leurs chaînes de télévision. Certains de ces grands groupes privés se sont battus pour l’avènement de la TNT en utilisant des arguments qu’ils refusent d’entendre aujourd’hui en faveur de la radio numérique.

Les diffusions expérimentales en RNT menées à Lyon et Nantes et que le CSA vient de décider de prolonger ont révélé un certain intérêt du grand public pour cette nouvelle technologie. Alors restent en effet les problèmes liés à la double diffusion analogique-numérique. Cette période peut être d’autant plus courte que le déploiement de la RNT et la couverture de la population sera rapide. Depuis 30 ans, RTL, Europe 1 et RMC dépensent plusieurs millions d’euros chaque année pour financer une diffusion en grandes ondes aujourd’hui totalement obsolète et dont elles sont bien incapables d’estimer l’audience réelle. L’incident survenu cet été sur l’émetteur grande ondes d’Europe 1 et qui perturbe actuellement sa diffusion, n’aura vraisemblablement aucun impact sur les prochains résultats d’audience de la station, tendant ainsi à démontrer l’inutilité de ces dépenses liées à une diffusion en grandes ondes. Or, l’arrêt de ces émetteurs grandes ondes permettrait de financer en grande partie une diffusion en RNT. Ce choix pourrait se révéler stratégiquement bien plus judicieux, et surtout s’avérera à court terme bien plus économique qu’une diffusion nationale en FM. Concernant les récepteurs, la loi prévoit l’obligation pour les fabricants d’intégrer une puce permettant la réception des émissions numériques à partir d’un seuil minimal de couverture de la population. Des dizaines de modèles sont actuellement disponibles à des prix très abordables. Par ailleurs, la vision étriquée qui est celle des groupes privés est une stratégie à court terme, simplement basée sur les intérêts économiques de quelques actionnaires et sans aucune considération pour l’intérêt du public.

On aura bien compris, et Rachid Arhab l’a souligné à plusieurs reprises, que les grands groupes privés ne veulent pas d’une concurrence accrue. En renonçant à préempter des fréquences en RNT pour les radios de service public, non seulement le gouvernement renonce à ses engagements électoraux, mais plus grave encore : il cède à la pression des grands groupes privés. Même s’il se défend de fermer définitivement la porte à la RNT, le gouvernement sert sans équivoque les intérêts des radios privées nationales opposées à la RNT. Ces mêmes groupes qui, notamment en Allemagne, sont présents sur la RNT parce qu’elle leur permet précisément d’étendre leur couverture du territoire. Alors, face à un gouvernement frileux et indécis, qui a pourtant placé au coeur de sa politique l’innovation et la recherche mais qui, en cédant aux lobbies économiques, n’hésite pas à sacrifier l’enrichissement du paysage radiophonique et le développement industriel d’une technologie porteuse d’avenir, et face à des grands groupes privés qui, en adoptant le comportement qui fut celui, 3 décennies plus tôt, des stations périphériques face à l’avènement de la FM, ont de fait rétabli une situation de monopole sur la radio, alors laissons la FM à ceux qui en furent les pionniers au siècle dernier et offrons la RNT à ceux qui en seront les pionniers du 21ème siècle et peut être les futurs grands des prochaines années.


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