Europe 1 – Entretien avec André Dumas

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C’est entouré de sa famille et petits-enfants qu’André Dumas a pris l’antenne pour la dernière fois depuis le Studio Lagardère pour y présenter « Europe Midi ». Au terme d’un journal de 45 minutes, André Dumas a sobrement remercié les auditeurs d’Europe 1 « pour leur fidélité » avant d’annoncer l’arrivée d’Yves Calvi dès le 25 août prochain pour lui succéder. « Yves Calvi est un ami, a expliqué André Dumas, il a du talent, je pars confiant ». Jérôme Bellay, qui avait confié la présentation d’Europe Midi à André Dumas il y a quelques années, est venu saluer le journaliste.

RadioActu : Vous avez quitté l’antenne depuis à peine deux heures, vous êtes dans quel état d’esprit ?
André Dumas : Très bien ! Je suis déjà en train de penser à ce que je vais faire dans les semaines qui viennent. Je continuerai de venir à Europe pour voir les copains et tous ceux qui rentrent. Et puis nous allons fêter officiellement mon départ.

RA : 40 ans d’antenne, c’est une longévité exceptionnelle, comment l’expliquez-vous ?
AD : Quand on est dans une maison et que l’on s’y sent bien, on y reste. C’est vrai que j’ai eu des tentations, on m’a sollicité pour aller à la télévision, mais c’était très tôt dans ma carrière. C’était en mars 68, et la télévision à l’époque c’était presque rien. J’ai été contacté pour m’occuper des problèmes de jeunesse et de sport sur le service public. Comme j’avais 28 ans, je me suis dit que ça pouvait être intéressant. Mon patron l’a su et il m’a appelé en me disant : « Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Il ne faut pas aller à la télévision, c’est rien à côté d’Europe ! » Et c’était vrai à ce moment là. J’ai fait un peu de surenchère et on m’a proposé de partir un mois dans Les Montagnes Rocheuses avec Jean-Claude Killy. Ils m’ont retenu avec ça et j’ai fait 8 ans de sport.

RA : Comment en êtes-vous venu à faire de l’info généraliste ?
AD : Etant moi même sportif, je me suis dit qu’arrivé à l’âge où mes copains devenaient entraîneur, il fallait que je change. Je me voyais mal avec un Nagra à l’épaule dans les vestiaires à 40 ans. J’ai donc arrêté assez rapidement et j’ai commencé à remplacer André Arnaud pendant les vacances, puis on m’a proposé le 7 heures – 8 heures qui est la vitrine d’Europe. Donc j’avais toujours des choses qui étaient plus importantes que le midi, à mon sens. Il y a seulement 4 ou 5 ans que, quand il est arrivé, Jérôme Bellay m’a proposé de Europe Midi.

RA : Quel grand souvenir de radio gardez-vous de ces 40 ans ?
AD : J’ai eu des moments forts avec des interviews de gens qui étaient intéressants. J’ai présenté pendant un bon bout de temps le Club de la Presse. Il n’y avait que des politiques, j’ai eu Le Pen, Balladur, mais ce n’est pas ce qui m’impressionnait le plus, parce que les politiques je m’en méfie. Ce ne sont pas les gens les plus passionnants. Ce qui m’a toujours passionné, ce sont les gens qui m’apportait quelque chose, en face desquels on se retrouve intelligent. Par exemple, dans la médecine, je suis allé à un congrès du cancer à Sidney sur le mélanome. On faisait des émissions de 3 heures en pleine nuit avec le décalage horaire, qui n’intéressaient que le corps médical mais qui étaient passionnantes.

RA : Vous avez présenté plusieurs milliers de journaux, et vous avez quand même gardé cette curiosité…
RA : Bien sûr, car c’est l’actualité ! Les gens changent en 20 ans. Par exemple, j’ai découvert Cohn-Bendit en mars 68 alors qu’il était étudiant à Nanterre. Je suis rentré au bureau en disant qu’il y a un petit rouquin qui remue beaucoup les étudiants et qu’il se peut qu’il se passe des choses dans les semaines qui viennent, et mai 68 est arrivé !

RA : On se souvient d’ailleurs du rôle d’Europe 1 à ce moment là…
AD : Oui, et ça c’était passionnant pour un jeune reporter. On avait installé une salle avec des chaises longues car on partait en reportage avec des motos et on ne pouvait pas rester plus de deux heures en face des grenades lacrymogènes. Donc on revenait pleurer pendant deux heures et on repartait.

RA : Et vous avez survécu au grand nettoyage post-mai 68 ?
AD : Ca a été terrible ! Mais c’est pas 68 qui a été le plus terrible. Ca a été 81 quand Mitterrand est arrivé. Jean-Luc Lagardère n’était pas entièrement propriétaire de la station, donc il y a eu de vraies pressions politiques, des gens qui ont dû partir, à commencer par notre patron, Etienne Mougeotte. Ensuite, il y a eu une sorte de Comité de salut public à l’intérieur de la rédaction. Je le regrette profondément car je ne pensais pas que dans une radio en grande partie privée on allait subir ça. Et c’est effectivement ce qui s’est passé.

RA : Ce sont des expériences qui forgent un caractère ?
AD : Il y a une chose qui m’a vraiment endurci, avant de faire du journalisme, c’est de faire la guerre d’Algérie. Qaund vous revenez de ça et que vous êtes engagé à 19 ans, qu’on vous met une mitraillette entre les pattes et qu’on vous dit qu’il faut tirer sur les fellagas, ça forge un caractère, ça vous durcit terriblement et ça vous marque pour toute la vie. On est moins léger après.

RA : Est-ce que vous pensez que les jeunes journalistes sont réceptifs à ce discours ?
RA : Ils naviguent entre « Est-ce que c’est vrai ? » et « Est-ce que c’est possible ? ». Je les assure que c’est vrai, forcément. Ils se disent qu’ils ne vont jamais vivre ça parce que ce n’est plus pareil. A 25 ans, j’avais déjà fait 12 fois le tour du monde et j’avais vu 92 pays. On ne fait plus ça car on n’a plus les moyens. Avant, il y avait à peine 4 grands journaux dans la journée. Maintenant, il y a des infos toutes les heures. Je trouve que les jeunes journalistes sont trop prisonniers de la dépêche. Un de mes patrons me disait qu’on devrait envoyer les présentateurs de journaux en reportage, et il avait tout à fait raison. Par exemple, je suis descendu dans les trous de taupes que creusent les nord-coréens pour envahir le Sud. Je suis allé avec les troupes américaines qui sont enterrées entre la frontière et Séoul et je sais de quoi il s’agit. Il y a 40 000 américains qui sont toujours là-bas et qui attendent l’invasion des nord-coréens. La Corée du Nord est une puissance nucléaire, et pour moi c’est beaucoup plus important que l’Irak. Donc, quand vous présentez un journal et que vous avez vécu ça, vous êtes capable de dire qu’il y a des ponts submersibles qui, en cas d’alerte, vont sous l’eau de façon à protéger la capitale. Aux Philippines, j’ai été reçu par Madame Marcos dans son palais présidentiel et je sais qu’il y a une boîte de nuit au dernier étage. Vous imaginez ça à l’Elysée ? J’ai discuté pendant des heures avec elle et à 150 mètres de là il y a des mômes qui sont en train de se shooter à la colle et qui meurent à même le sol.

RA : C’est Yves Calvi qui vous succède à Europe Midi. Il a dit de vous que ce qui explique votre longévité c’est votre simplicité et votre clarté…
AD : Oui, et je rajouterai la curiosité. La première qualité d’un journaliste c’est d’être curieux. J’ai toujours été passionné par les choses que je découvrais. J’avais envie d’en savoir toujours plus, d’apprendre. C’est un métier qui est extraordinaire pour ça. On est au contact de gens formidables. La deuxième qualité que je m’accorde, c’est la rigueur. Jusqu’à la fin de ma carrière j’aurais travaillé avec un dictionnaire à côté de moi. Je cherchais tout le temps exactement le mot qui convenait. Quand il y avait des prononciations sur des noms propres, sur des noms de villes, je disais aux journalistes d’appeler le Café de la Gare ou la Poste pour savoir comment on prononce le nom du village. Ca, je trouve que les jeunes ne l’ont pas. Ils sont très décontractés, un peu légers sur un certain nombre de choses. Moi j’ai été élevé comme ça dans le métier. Aujourd’hui quand vous sortez d’une école de journalisme et que êtes engagés à Europe 1 ou à France Info, on vous met à l’antenne. Moi pendant six mois on m’a appris à faire des brèves. Je me levais à 4h30 du matin pour apprendre à faire 3 lignes. Il y a avait derrière moi Claude Guillaumin qui m’apprenait et qui me disait : « Mais non, c’est pas par ce mot là qu’il faut commencer ! ». J’en suis encore très fier car je pense que c’est comme ça qu’on apprend ce métier. Ce n’est pas en sortant de l’école et en vous balançant à l’antenne.

RA : Yves Calvi est d’une certaine façon votre fils spirituel ?
AD : Oh, c’est un bien grand mot. Je ne connaissais pas Yves quand il est arrivé à Europe, je le voyais un peu sur LCI. Il est arrivé avec Jérôme Bellay et je me suis tout de suite bien entendu avec tous les deux. Bellay est un type qui parle franchement, qui est vrai. C’est une question de caractère. Bellay c’est le contraire d’un diplomate et moi la même chose ! C’est pareil avec Yves Calvi. Pour moi, c’est le meilleur choix.

RA : Vous avez terminé votre dernier journal en disant que vous partiez confiant. Est-ce que vous avez discuté avec lui de ce que va devenir Europe Midi ?
AD : Je pense que ça sera très proche de ce que c’était. Yves Calvi est là depuis trois jours, il a fait une ou deux maquettes. Il est venu ce matin à la conférence de rédaction pour voir comment on organisait le journal. Je l’ai conseillé sur deux ou trois choses, comme par exemple sur la chronique cinéma. Comme notre chroniqueur cinéma était absent cet été, j’ai invité des vedettes pour parler d’un film. Yves Calvi est venu écouter, et je trouvais ça plus intéressant. Grâce à Jérôme Bellay, nous avons inventé une chose : c’est de faire un journal d’une heure où il n’y a que du direct. Rien n’est enregistré. C’est un souffle bien particulier et le temps parait passer bien plus vite à la fois pour présentateur et aussi j’imagine pour l’auditeur. L’auditeur le ressent, il sait que tout peut arriver. Il faut un rythme car on a en permanence le réalisateur dans l’oreille. Nous avons un point de départ qui est le midi pile et on a le carillon de treize heures. Là-dedans, c’est à vous de gérer. Quand on a 12 invités ce n’est pas toujours facile parce ce que les gens qui sont intéressants, on a envie de les garder et ceux qui sont pas bons, on veut les liquider tout de suite. En plus, je les découvre, je refuse de leur parler avant pour une question de spontanéité.

RA : Avec votre départ, Europe 1 perd une de ses grandes voix. Vous avez un vécu, des souvenirs, est-ce que vous n’avez pas envie de conserver une trace de tout ça, d’écrire un livre ?
AD : Non. Je trouve passionnant d’avoir engrangé tout ça dans sa tête comme si c’était hier et d’être capable de le raconter à mes amis, mes proches, mes enfants, mes petits-enfants qui eux ne savent rien. Je trouve que c’est un trésor qu’il faut savoir préserver.

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