Fabienne Sintès (France Info) – « Envoyons de l’info, faisons-le vite, mais bien »

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Radioactu : Vous êtes entrée chez France Inter en 1998 en tant que grand reporter. Vous avez couvert des événements comme le tsunami en Indonésie, les élections américaines, la guerre en Irak. N’êtes-vous pas à l’étroit aujourd’hui dans un studio ?
Fabienne Sintès : Pas vraiment ; j’ai fait autre chose entre temps. Entre le grand reportage et le studio, j’ai passé six ans aux Etats-Unis. En rentrant, j’ai voulu faire quelque chose de différent. Quand cette opportunité s’est présentée, je me suis dit : « pourquoi pas ? ». Pour le moment, le reportage ne me manque pas. Ce sera peut-être différent dans dix mois.

Radioactu : Depuis la rentrée, le rythme de l’information sur France Info a changé, tout comme l’habillage d’antenne. Quelle était la volonté derrière ces changements ?
Fabienne Sintès : Nous voulions revenir vers une info plus proche et plus dynamique, dont nous nous étions un peu éloignés. Nous faisions davantage de décryptage que d’information brute. Nous sommes revenus vers quelque chose de plus rapide, plus saccadé… Pour autant, nous ne faisons pas la même chose que quinze ans auparavant. Nous le faisons avec les moyens actuels et avec la concurrence actuelle. L’idée était de recoller à plus d’immédiateté. Nous avons supprimé les tranches qui, pour être tout à fait honnête, étaient très agréables à faire pour nous journalistes, mais je ne suis pas certaine que l’auditeur cherchait cela en écoutant France Info. Nous revenons donc à ce qui était notre ADN pure : envoyons de l’info, faisons-le vite mais bien, et de manière extrêmement réactive.

Radioactu : Ces changements sont-ils le fruit des remarques des auditeurs et/ou du changement récent de la direction de France Info ?
Fabienne Sintès : Ce serait trop facile s’il pouvait y avoir des réactions aussi claires et évidentes pour chacune des tranches. Depuis un certain temps, nous nous demandions quelle était réellement la place de France Info – longtemps seule sur le créneau d’information en continu -, aux côtés d’autres médias présents sur le même créneau : des télés tout info, un accès à l’information différent de ce qu’il était auparavant… L’idée était de se repositionner et de se demander où nous pouvions être les plus utiles et les meilleurs. Nous avons donc décidé de prendre cette nouvelle direction ; c’est pour cette raison que Laurent Guimier (ndlr : le directeur de France Info depuis mai 2014) est là. Son cahier des charges est d’essayer de repositionner France Info pour qu’elle soit aussi attractive que les autres modèles. Il est normal que ce soit complexe : quand France Info est née, nous étions les seuls. Aujourd’hui le choix est extrêmement large. Je pense que nous existons et avons vraiment notre place. Il ne faut jamais perdre de vue les réactions des gens face à l’info, les supports qu’ils ont entre les mains, la façon dont ils y accèdent. Notre grille doit répondre à tous ces aspects.

Radioactu : Le fait de prendre en compte cette concurrence – qui délivre parfois une information de piètre qualité, notamment en télé -, ne risquait-il pas de tirer France Info vers quelque chose de moins qualitatif ?
Fabienne Sintès : Non, pourquoi ? Aller vite ne veut pas dire faire mal les choses. C’est en cela que nous avons parfaitement notre place. Je pense qu’il ne faut pas réfléchir trop avant en se demandant si les auditeurs vont vouloir beaucoup de décryptages ou d’autres contenus. Nous avons choisi de leur dire : « si vous avez besoin d’info, si vous souhaitez savoir ce qu’il se passe à l’instant T, France Info vous le donne avec de la qualité. » Certes nous sommes dans un monde d’images, alors les gens sont parfois plus attirés par ce type de contenu. Souvent, les chaînes télé font de la radio et n’ont parfois pas tant d’images que cela à montrer. France Info est capable de donner de l’image quand elle fait de la radio ; on donne à voir et à entendre. Nous avons donc largement notre place. Depuis trente ans, il existe une « qualité France Info » et une « qualité Radio France » qui ont du sens. Les gens le savent.

Radioactu : Quels sont les nouveaux rendez-vous de la tranche matinale depuis la rentrée ?
Fabienne Sintès : Il n’y avait pas de 6-9 l’année dernière : c’était un 8-10 à deux voix. Mon exercice est très différent du précédent, car nous étions auparavant beaucoup dans les longueurs sur la tranche 8h-10h. Cette année, nous allons privilégier des journaux denses, sonores et exhaustifs. Toutes les demi-heures, nous proposons un décryptage de quatre minutes qui nous permet de faire du reportage en longueur, ce qui n’existe nulle part sur les matinales. Nous faisons également des rappels d’actualité deux fois par quart d’heure pour dire aux gens ce qu’il se passe à l’instant T. Au final, ces trois heures sont plus dynamiques et cohérentes, à l’image du reste de la journée, où nous proposons aussi des journaux denses suivis de quatre à cinq minutes d’explications, d’invités, de réactions… C’est le fil rouge de France Info.

Radioactu : En pratique, comment travaillez-vous avec les autres journalistes dans le 6-9 ?
Fabienne Sintès : La matinale se fabrique en grande partie la veille. Je travaille avec deux rédacteurs en chef dont un que je ne vois jamais, car l’intérêt est de travailler en décalé pour pouvoir aller chercher l’information qui tombe tardivement afin de la mettre en valeur le lendemain. Chaque jour nous discutons des informations que nous avons envie de développer, des invités… Il a une vision globale de la matinale. Le lendemain, je travaille avec un autre rédacteur en chef, qui dispatche les éléments dans les journaux et gère l’organisation. Concernant les chroniques (de h+23 à h+30 et de h+53 à l’heure pleine), les thèmes me sont souvent envoyés la veille ou tôt le matin. Avec cela je peux construire quelque chose en fonction des thème abordés. Nous sommes rarement tous ensemble autour de la même table, mais nous sommes en permanence au courant de ce que font les autres. Cela fonctionne très bien.

Radioactu : Quel regard portez-vous sur les matinales concurrentes ?
Fabienne Sintès : Comme nous parlons aux mêmes heures, il est compliqué pour moi de les écouter. Quand je ne travaille pas, j’écoute France Inter ou Europe 1. Je n’écoute pas RTL, non pas parce que je n’aime pas, mais parce qu’on ne peut pas tout écouter non plus ! J’ai l’impression que nous faisons la même chose sans vraiment que ce soit le cas : elles sont des radios généralistes, nous sommes une radio tout info. La réactivité à tout moment dans l’heure fait partie du cahier des charges de France Info. Au contraire, les interviews très denses avec des éditorialistes ne font pas partie de notre créneau. C’est quelque chose que France Inter fait très bien. Quant à la matinale d’Europe 1, je la trouve plutôt dynamique et ronde. Si l’on s’en tient à la cadence, la matinale de France Info est peut-être plus proche de la matinale d’Europe 1 que de celle de France Inter.

Radioactu : France Info a-t-elle une couleur politique. En caricaturant, certains classent Europe 1 et RMC à droite et France Inter et France Info à gauche…
Fabienne Sintès : C’est d’autant plus caricatural que ce n’est pas vrai. Une récente étude (publiée en avril 2014 par Marianne d’après des chiffres Ifop, ndlr) s’intéressait au vote des auditeurs. Inter était effectivement majoritairement écoutée par des auditeurs de gauche, Europe 1 de droite, et France Info était assez 50/50. Je pense vraiment que, à juste titre, les gens trouvent que France Info est un endroit où l’on trouve de l’information. Point barre. Dans la rapidité et la réactivité que nous sommes obligés d’avoir, je ne suis pas sûre que l’on soit estampillés politiquement aussi franchement que d’autres peuvent l’être. Par ailleurs, je pense qu’il existe une chose injuste : certains pensent qu’une radio a la couleur politique portée par les éditorialistes qui interviennent sur l’antenne. Si sur Europe 1 quelqu’un comme Jean-Pierre Elkabbach est estampillé à droite, alors on en déduit que toute la radio est à droite. Idem pour France Inter, si certains éditorialistes et émissions étaient estampillés à gauche, alors cela signifierait que toute la radio est à gauche… Je trouve cela assez injuste. Si l’on parle d’information brute, celle qui se trouve dans les journaux, dans ce que l’on raconte tous les jours, je pense que nous avons tous l’impression de faire un boulot assez équilibré. Un souvenir me vient à l’esprit : j’étais chez France Inter à l’époque du référendum européen. Des auditeurs nous tombaient dessus en nous disant qu’il était scandaleux que nous soyons pro-européens… La radio n’était pas forcément pro-européenne ; j’avais aussi fait des sujets sur le « non ». Il s’agissait juste de journalistes, comme Bernard Guetta et d’autres, qui ont le droit d’avoir leur opinion car leur boulot exige cela. Ces gens sont des éditorialistes dont le boulot est de donner une opinion tranchée.

Radioactu : Mais est-il facile de rester totalement neutre lors d’une interview politique par exemple ?
Fabienne Sintès : Evidemment. Par ailleurs, je ne fais pas d’interview politique, Jean-François Achilli s’en charge. Il est important qu’un intervieweur politique soit dédié à cela. Lorsque nous faisons des interviews plus complexes, ou plus « musclées » que d’autres, nous recevons en général autant de commentaires d’auditeurs qui nous disent « vous êtes une sale gauchiste » que « qu’est-ce que c’est que cette opinion de droite ». Autant de gens peuvent nous dire « vous avez été crétine » que « vous avez été parfaite ». Cela me va très bien ! Preuve que chacun va chercher midi à sa porte et que chacun écoute sa radio en fonction de son opinion politique. C’est pour cela que les radios sont estampillées. Je souhaite personnellement donner l’information comme elle vient, en gardant mon opinion pour moi. Personne ne sait ce qu’elle est d’ailleurs.

Radioactu : Selon vous, l’information proposée en France dans les médias (télé, web, radio, presse écrite) est-elle aujourd’hui de qualité ?
Fabienne Sintès : J’aurais plutôt tendance à répondre « oui ». Les gens qui qualifient les journalistes de vendus sont rarement des lecteurs de la presse. Le journalisme est en pleine mue, mais je ne pense pas que nous soyons au fond du trou. Si l’on pose la question « est-on meilleur en allant plus vite grâce aux nouvelles technologies que nous avons à disposition ? », la réponse est non. Aller plus vite ne veut pas dire être meilleur. La pressurisation est également plus importante quand nous travaillons sur le terrain. Nous constatons aussi, sur certains médias, notamment certaines chaînes de télé, que le fait de devoir alimenter une antenne en permanence apporte une vacuité parfois un peu sidérante. Mais aujourd’hui, il existe un choix très vaste, qui permet aux gens, s’il le souhaitent, d’aller chercher de l’information dense et qui a du sens. Par exemple, on ne peut pas nier qu’il se passe journalistiquement des choses sur le site Mediapart. Je suis une lectrice assidue de Rue89 et trouve cela d’une grande qualité… En cherchant bien, on peut trouver des choses qui ont du sens. L’autre question concerne la crise de la presse : c’est bien le cas. Cela entraîne parfois le fait d’aller au plus facile, au plus populiste. Il faut être vigilant par rapport à cela.


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