Laurent Bouneau (Skyrock) – « La période actuelle n’est pas favorable à une radio urbaine »

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Sur un an, l’audience cumulée de Skyrock a perdu 0,8 point. Le score de 6.5% AC est le plus mauvais sur ces cinq dernières vagues. Comment analysez-vous ces résultats médiocres ?
Laurent Bouneau : Vous venez de les analysez dans votre question. Le résultat est clairement mauvais pour l’audience cumulée.

Vous attendiez-vous à ce résultat ?
Laurent Bouneau : On s’habitue à ce résultat, à partir du moment où nous avons déjà les quinzaines. Le jour des sondages ne nous renseigne que sur les résultats et scores des autres.

A quoi sont dus ces résultats selon vous ?
Laurent Bouneau : Nous avions déjà enregistré une mauvaise vague en avril-juin. La vague d’été n’était pas très bonne non plus, bien que supérieure. Mais d’une manière générale, depuis le 1er avril, nous avons perdu 0,8 en moyenne en audience cumulée. NRJ a beaucoup progressé dans un même temps.

Considérez-vous que NRJ vous a pris des auditeurs ?
Laurent Bouneau : Oui. Ils ont travaillé pour cela. Dans une compétition, tout le monde se bat. Certains gagnent, d’autres perdent. On ne peut pas dire que Skyrock ait gagné en audience cumulée.

Comment accueillez-vous les 3,6% de part d’audience, en baisse de 0.4 point sur un an ?
Laurent Bouneau : Je l’accueille mieux, car nous sommes la deuxième radio musicale. La plupart du temps, Skyrock tourne autour de 4 points, voire plus. En 2011, nous étions très proches de NRJ. Nous sommes aujourd’hui deuxième radio musicale en PDA et troisième radio musicale en audience cumulée. Mais il ne s’agit pas de bons résultats quoi qu’il en soit.
J’ai des objectifs fixés par la régie sur les 25-49 ans. Sur cette tranche d’âge, entre 7h et midi, nous avons pris 15% par rapport à l’année dernière ; c’est un point important. Malgré la baisse, nous progressons tout de même sur cette tranche d’âge. C’est cela que nous vendons en priorité aujourd’hui aux annonceurs. Je ne me réjouis pas pour autant du score que nous réalisons en général ; et j’en profite pour saluer nos camarades de NRJ, qui ont bien bossé. Bravo.

Le virage électro opéré par les artistes rap, et le fait que les artistes rap sont plus diffusés sur les musicales, peuvent-ils expliquer les bons scores de NRJ ?
Laurent Bouneau : Je pense que le virage rap français pris par NRJ a fait changer les choses. Ce virage était lié à des artistes beaucoup plus « larges » : Maître Gims, Orelsan, Youssoupha… D’une manière générale, les cultures urbaines ont gagné. Le jour de Urban Peace, Morgan Serrano [directeur des programmes de NRJ, ndlr], dans un article du Parisien, disait : « on peut jouer jusqu’à quarante pour cent de rap »… Leur réseau est beaucoup plus important que le notre, ils ont travaillé sur leurs émissions du soir et du matin. Notre équipe – avec Cédric, Romano et Difool -, fait du mieux qu’elle peut. Elle a deux tranches, ce qui est difficile, et une concurrence rude de gens qualifiés. Les performances de Manu Lévy le matin sont très importantes, et il progresse encore par rapport à la vague de l’année dernière. Le soir, je pense que Cauet a plus de mal, même s’il enregistre de très bons scores. NRJ a également progressé pas mal durant la journée : le programme local sur le 16-20 fonctionne extrêmement bien. C’est la tranche avec la plus forte progression.

Que manque-t-il à Skyrock et que comptez-vous mettre en place pour regagner en audience ?
Laurent Bouneau : Il faut faire très attention avec les changements. En juillet nous avons changé d’horloge et la place de la publicité : les résultats n’ont pas été très bons. Je pense que la période actuelle n’est pas favorable à une radio urbaine. Aux Etats-Unis, ces radios souffrent beaucoup. Skyrock enregistre 3 419 000 auditeurs. Beaucoup de monde me dit qu’il faut changer, mais il faut faire très attention à cela : dès que l’on bouge, on s’aperçoit que l’audience continue à tomber. La période est difficile pour la radio ; notre objectif est de progresser sur les 25-49. Nous restons sur cet objectif pour l’instant. La saison a démarré, chacun essaie de travailler pour le mieux : l’équipe du matin a évolué – un personnage féminin a rejoint l’équipe -, nous avons interverti les animateurs entre 12h et 16h. Mehdi a fait du bon boulot, j’apprécie ce que fait M’Rik même si nous n’avons pas de résultat et que la tranche a beaucoup perdu. Sur « Planète rap », il y a eu un beau travail depuis la rentrée. Mais la concurrence était plus difficile : Cauet à 20h, l’arrivée de « Lovin’ Fun »… C’est difficile, mais je fais confiance à nos équipes, qui travaillent et se donnent au mieux. Quand le contexte vous est favorable, vous avancez très vite. Pour le moment, le contexte économique, social, n’est pas favorable aux radios musicales, hormis NRJ, qui cristallise ce que les gens veulent entendre actuellement.

Certaines rumeurs ont fait état d’un retrait de l’antenne de Difool la saison prochaine. Qu’en est-il ?
Laurent Bouneau : C’est Difool qui répondra à cette question. Il assure les tranches du matin et du soir depuis quinze saisons, c’est unique et invraisemblable. C’est lui qui donnera l’impulsion ; tant qu’il prendra du plaisir à faire de la radio matin et soir… Voilà. C’est un belle personnalité, forte. Aujourd’hui, il a une concurrence, des gens brillants, qui savent faire de la radio. C’est compliqué pour lui mais je trouve qu’il résiste bien : le soir, il est leader de 23h à minuit, il fait toujours 11% de parts de marché. C’est une place forte, par exemple par rapport à « Lovin’ Fun », qui a perdu de l’audience par rapport à l’année dernière à la même époque.
Le fait de construire de l’audience est très compliqué. Pendant très longtemps, Skyrock a « surperformé » par rapport à ses moyens. Aujourd’hui, nous faisons notre travail. Tout le monde fait pour le mieux. Sur Virgin, Roberto espérait que cela se ferait pour la rentrée, mais il continue à perdre. Pourtant, ils ont le deuxième réseau en terme de taille. Tout cela est très compliqué.
Si on regarde au global, on constate qu’il y a une augmentation de l’audience de la radio sur les plus de 35 ans et une baisse sur les moins de 35 ans. La majorité des radios musicales, axées sur les moins de 35 ans, souffrent actuellement. La performance de NRJ vient s’ajouter à cela. Nous souffrons d’un marché en baisse et sommes, en plus, attaqués directement sur les moins de 20 ans. Jusqu’où NRJ pourra aller ? Cela ne peut être que plus difficile à présent pour eux.

Comment Skyrock se positionne-t-elle aujourd’hui dans l’univers des radios qui lui ressemblent d’un point de vue format musical : Ado, Générations ?
Laurent Bouneau : Vous regarderez les résultats sur Paris. Ces radios ont souvent été agressives vis-à-vis de Skyrock. Cette posture était légitime au regard de ce que représentait le poids de Skyrock sur un courant musical. Je n’écoute pas ces radios mais je regarde leurs résultats : elles ont souvent baissé beaucoup plus que Skyrock. Chacun son métier, chacun essaie de faire pour le mieux.

En octobre 2012, NRJ avait été condamnée par le tribunal de commerce de Paris à verser à Skyrock 1 million d’euros pour concurrence déloyale, en raison d’un message présentant comme des concerts NRJ des événements qui faisaient en réalité l’objet de partenariats de Skyrock. Avez-vous touché cette somme ?
Laurent Bouneau : Cette somme a été versée à la caisse des dépôts pour consignation. NRJ a fait appel de cette décision. Cette somme est donc bloquée.

Skyrock est-elle toujours un ardent défenseur de la radio sur IP ?
Laurent Bouneau : Skyrock défend l’IP broadcast. Le prochain moyen de diffusion doit utiliser le code internet, cela ne peut pas être simplement du numérique. On ne va pas lancer le CD en 2013 ! On ne peut pas lancer une nouvelle norme de diffusion sans que celle-ci ne prenne en compte, dans son ADN, le « réseau ». Le réseau signifie : je vous parle et vous pouvez me parler en retour. Il y a une dimension interactive et de construction de réseau. Une norme a été trouvée par l’ancien directeur technique de Radio France, Sylvain Anichini, qui travaille avec Pierre Bellanger sur la question. Ils pensent que cette norme, le broadcast IP, devrait être la prochaine RNT.

Justement comment vous positionnez-vous par rapport à la RNT ?
Laurent Bouneau : Notre point de vue reste le même : le support qui sera créé doit intégrer la notion de réseau. La RNT aujourd’hui, c’est comme offrir le CD aux auditeurs. Cela n’a pas de sens. L’interactivité a beaucoup plus de sens, malgré des problèmes à résoudre. Actuellement, sur les applications, le son coupe souvent quand vous êtes en mobilité. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas imaginer une nouvelle norme de diffusion qui n’intègre pas une réflexion sur le réseau. Nous sommes confrontés à une « génération réseaux », à un type de comportement numérique. S’il y a une baisse d’audience de certaines radios sur les jeunes, il y a une raison : leur média, c’est leur tablette, leur mobile ou leur PC. Nous devons intégrer cette dimension dans la diffusion.

Face au succès de Facebook, les blogs de Skyrock ont-ils un avenir ?
Laurent Bouneau : Il existe près de 30 millions de blogs Skyrock pour 80 millions de visites : c’est plus important que Twitter. Mais les médias ne parlent pas des Skyrock Blogs ou de Skyrock.com comme ils parlent de Twitter. Pourtant ils sont français et font plus d’audience. On compte peu de réussites en France dans le numérique ; notre sentiment est que l’Europe doit aider ces acteurs, car nous sommes sous domination américaine. Les enjeux sont considérables. La réalité est que Skyrock.com est moins fort qu’il ne l’a été, notamment à cause de la concurrence rude de Facebook. Mais c’est toujours une force vive avec une audience très importante. Facebook est premier, les blogs de Skyrock deuxièmes. Ensuite je crois que Google+ est passé troisième devant Twitter. Pourtant, les médias français ne parlent que de Facebook et Twitter. Est-ce juste ? C’est comme ça.

Vous travaillez chez Skyrock depuis 1984, à l’époque où elle s’appelait La Voix du Lézard. Quelle vision portez-vous sur votre parcours ? Regardez-vous en arrière ?
Laurent Bouneau : Toutes les époques sont bonnes à vivre. Je n’ai pas beaucoup de temps pour regarder en arrière. Je vais le faire un peu car j’écris actuellement un bouquin sur le rap qui sortira en juin. Mais je suis comme tout le monde : on doit avancer, essayer de faire pour le mieux avec l’envie permanente que le prochain moment soit plus fort que celui que l’on vient de vivre.


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