Laurent Guimier – « Ce n’est pas parce que la concurrence est démultipliée qu’il faut renoncer à notre mission d’origine »

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Radioactu : Vous avez été nommé directeur de France Info il y a cinq mois. Avec le recul, comment s’est passée cette installation ?
Laurent Guimier : Me concernant, plutôt bien. En arrivant, j’ai pris le soin de beaucoup écouter mes collaborateurs d’Info. J’ai découvert à la fois France Info, Radio France, le service public de l’audiovisuel… Il était important pour moi de découvrir cet univers, ses équipes, et de comprendre les raisons pour lesquelles France Info avait connu des fortunes diverses durant les dernières années. Durant trois semaines, j’ai rencontré environ 130 personnes en tête à tête : équipes, journalistes radio et web, techniciens… Nous avons ensuite lancé ce projet qui consiste à réaffirmer la vocation de chaîne d’information de France Info. Le terme « chaîne d’information de service public » doit permettre de mieux nous redéfinir. C’est ce que nous faisons depuis cinq mois et plus particulièrement depuis un mois, avec la mise en place de la nouvelle grille. Une fois que le projet a été validé par tout le monde, entériné et compris, nous avons mis en place de nombreux changements d’organisation et beaucoup expliqué le sens dans lequel nous voulions aller. Nous avons aussi, avec de grands guillemets, profité de l’actualité abondante, dramatique et moins dramatique, de cet été, pour tester la nouvelle antenne que nous souhaitons faire. Cette antenne est plus chaude, plus réactive, davantage tournée vers l’événement qui se produit. La troisième étape a été mise en place au 1er septembre, avec l’arrivée de la nouvelle grille.

Radioactu : Votre projet de réinventer l’information en continu a-t-il reçu un bon accueil de la part des équipes ?
Laurent Guimier : Il faut leur poser la question ! Je ne me substitue jamais aux équipes et encore moins aux journalistes pour répondre à leur place. Il y avait deux choses importantes : la première était d’adhérer au projet, de faire une antenne d’information en continu chaude. Au-delà du terme « retour aux fondamentaux », dont on a beaucoup entendu parler, le deuxième défi en cours et de mettre en place cette information en continu et de voir si la « machine France Info » tient la route. Nous nous rendons compte que ça va, même s’il y a de la fatigue et du stress, c’est normal, nous faisons des réajustements au quotidien. Globalement, l’entreprise, et la rédaction en particulier, mettent beaucoup d’entrain et d’énergie à faire de l’information en continu au quotidien. Je crois que cela fonctionne, que nous sommes au rendez-vous sur l’actualité brûlante et que nous ne perdons jamais de vue que nous sommes une chaîne d’information de service public, donc que nous sommes très très à cheval sur la vérification de l’information, sur le fait de ne pas relayer de rumeurs.

Radioactu : Les antennes privées vous paraissent-elles moins soucieuses de la vérification de l’information ?
Laurent Guimier : Non, ce n’est pas le cas. Mais France Info est une chaîne d’information radio en continu ; elle est la seule dans ce cas précis. Lorsque l’on fait de l’information en continu de 4h à minuit, nous devons redoubler de soin et d’attention. Sur les chaînes généralistes, les sessions d’information sont très espacées les unes des autres. Avant chaque édition, il y a du temps pour vérifier l’information, la valider. Sur les chaînes d’information en continu, mais aussi sur le web, il y a parfois – sans désigner personne car nous courrons tous ce risque -, un risque d’emballement. Ce risque, que l’on doit conjurer, est beaucoup plus fort sur le web et sur une chaîne d’information radio en continu, que sur les généralistes.

Radioactu : Vous avez notamment lancé la version internet du Figaro, avez dirigé les sites de Lagardère, monté lelab.fr… Avec votre grande expérience du web, êtes-vous à ce jour satisfait du site internet de France Info et de son application mobile ?
Laurent Guimier : Je suis très satisfait de ce que nous faisons aujourd’hui, mais ce n’est absolument pas suffisant. A ce jour, on ne peut pas bâtir une stratégie numérique sur un site internet, quand on est un média d’info en continu. La raison est simple : lorsqu’elle est en directe, la radio va plus vite que le web, elle est plus efficace qu’un site internet en matière d’information en continu. On ne peut donc pas bâtir une stratégie numérique sur la « simple » fabrication d’un site internet d’info, tout simplement parce que publier une information sur internet nécessite une photo, un titre, un chapeau, une légende, des délais de publication plus compliqués et lents qu’en radio. La stratégie numérique que nous sommes en train de réimpulser à France Info est assez différente de ce qu’il y avait précédemment. Nous nous demandons ainsi quelles sont les missions du numérique sur une chaîne d’info, quelle est la mission des journalistes numériques… Cette mission doit consister, bien sûr, à faire des papiers sur le site franceinfo.fr, mais cela ne doit pas être l’unique chose que nous faisons. Aujourd’hui, les journalistes numériques sont en veille sur des dizaines et des dizaines de sources d’information en temps réel, car nous sommes tous en concurrence et devons voir ce que font les voisins, ce qu’il se dit sur les réseaux sociaux, ce que disent nos concurrents, de La Nouvelle République jusqu’au New York Times… Cette notion de veille sur l’actualité doit profiter à l’ensemble de la rédaction de France Info et de son antenne. Cette mission clairement identifiée a vocation à irriguer l’ensemble de l’antenne de France Info, y compris la rédaction. De plus en plus, l’équipe numérique repère des informations que nous validons et que nous diffusons à l’antenne. Mine de rien, cela commence à produire ses effets sur l’antenne de France Info en elle-même.

Radioactu : L’internet accompagne donc l’antenne de France Info…
Laurent Guimier : Il est un potentiel enrichissement de ce que nous proposons à l’antenne, mais également un support de distribution de ce que nous faisons déjà à l’antenne. Nous devons véhiculer notre antenne de qualité sur internet : soit en streaming, soit de façon délinéarisée. Notre antenne « premium » a vocation à être distribuée en numérique. Cette antenne « premium » est la première source de contenus numériques émanant de France Info.

Radioactu : Sur internet, les publications journalistiques se font souvent dans l’urgence, avec une recherche de clics de la part des médias. Le 27 août dernier, un article publié sur le site de France Info titrait « Japon : risque de tsunami allant jusqu’à 23 mètres de hauteur ». Ce titre a été repris sur la page Facebook de France Info, déclenchant des commentaires très négatifs reprochant cette accroche, alors qu’en réalité, aucun risque imminent de tsunami n’était d’actualité ; il s’agissait simplement de suppositions d’une étude scientifique. Est-il facile de contrôler ce genre de publication ? D’éviter le sensationnalisme dans les contenus internet destinés à être relayés sur les réseaux sociaux ?
Laurent Guimier : En l’occurrence, nous ne sommes pas ici en présence de la propagation d’une rumeur, qui est la chose la plus critiquable sur un média. Il s’agit d’une hypothèse qui a été mise en avant ; une hypothèse qui peut sembler « sensationnaliste ». A mon avis, cela est davantage dû à une maladresse d’édition qu’à une volonté de faire du sensationnalisme. L’étude dont il s’agit dans cet article est évoquée dès le chapeau, dès les premières phrases. Concernant la question plus globale de « faire du clic », si la politique numérique de France Info avant mon arrivée avait été de faire du clic, nous aurions de meilleurs scores d’audience que ceux que nous enregistrons aujourd’hui. En disant cela, je réponds un peu avec une boutade… Mais concernant ce papier précis, je dirais qu’il est un peu « survendu ». Mais non, sur franceinfo.fr, nous n’avons pas pour objectif de faire du clic avec des papiers sensationnalistes. Je le dis et le répète : le web doit être raccord avec ce qu’il se passe sur l’antenne. Les papiers que vous lisez sur franceinfo.fr n’ont pas vocation, ni dans leur titraille ni dans leur angle, à « faire du clic ». Nous sommes dans le respect de la ligne éditoriale de France Info. Par ailleurs, nous traitons parfois, sur le site internet, de sujets qui ne sont pas encore passés à l’antenne. Certaines informations enregistrent beaucoup de clics et sont ensuite traitées sur l’antenne. Tout cela est du pilotage quotidien. La rédaction web et la rédaction en chef de l’antenne correspondent en permanence pour être synchro.

Radioactu : Les audiences de France Info ne sont pas au beau fixe par rapport aux scores passés. Comment expliquez-vous cela ?
Laurent Guimier : Au fil des ans, nous avons sans doute un peu oublié la promesse et la mission d’origine de France Info : être la chaîne d’information française de référence. France Info était en situation de monopole il y a 27 ans ; c’était encore le cas il y a une vingtaine d’années. Les chaînes d’information sont arrivées ensuite, tout comme internet et les réseaux sociaux. Avec Mathieu Gallet et Frédéric Schlesinger, nous partageons la conviction que ce n’est pas parce que la concurrence est démultipliée qu’il faut renoncer à cette mission d’origine. France Info a été conçue pour être une chaîne d’information en continu, elle doit être cela. Le fait d’avoir perdu du public ces dix dernières années est un peu lié à cette question. Aujourd’hui, avec les équipes de France Info, nous nous disons : « redevenons la chaîne d’information du service public de référence ». A ces conditions là, et avec du temps, nous retrouverons davantage de public.

Radioactu : Quels objectifs d’audience votre nouveau projet éditorial mérite-t-il ?
Laurent Guimier : De très grands objectifs ! Ils ne sont pas chiffrés. Je veux simplement qu’il y ait plus d’auditeurs à l’avenir. Je souhaite surtout que nous construisions une audience globale qui exprimera la puissance et le fait que France Info est une référence de l’information en continu. En tant que patron de France Info, je n’ai aucun problème pour dire que je suis en concurrence avec des chaînes d’information télévisée, des sites internet et des personnalités et médias puissants sur les réseaux sociaux. L’importance et la notoriété de France Info doivent être mesurées sur tous ces supports. Nous devons construire cette audience globale de France Info. J’entends être jugé à terme sur l’audience globale que j’aurai générée.

Radioactu : Une question très large : quelle idée vous faites-vous du journalisme radio contemporain ?
Laurent Guimier : Très large en effet… Je pense que le journalisme radio contemporain est paré d’un atout incroyable : son extraordinaire modernité. La radio est aujourd’hui le média qui résiste encore à toutes les innovations technologiques que nous pouvons imaginer. Aujourd’hui, la radio s’écoute sur un smartphone, une tablette, un écran de télévision… Elle commence même à se regarder ! Cette notion de « flux d’informations en direct, passant par la voix » est une notion extrêmement moderne, capable de traverser bien des écueils. Économiquement, le modèle économique de la radio – qu’elle soit privée ou publique – résiste tout de même mieux à la crise des médias que d’autres, car nous sommes soit sur un modèle de gratuité, soit de redevance. En outre, et sous réserve d’évolutions technologiques qui vont arriver inévitablement, la radio va rester pour un bout de temps l’un des seuls médias, voire le seul, qu’il sera possible de consommer en faisant autre chose : en prenant sa douche, en se rasant, en conduisant… Pour revenir à la question initiale, je pense donc que le journalisme radio contemporain à tout l’avenir devant lui.

Radioactu : Est-ce que le fait de faire de l’antenne vous manque ?
Laurent Guimier : Non, pas aujourd’hui.

Radioactu : Vous avez écrit plusieurs ouvrages avec votre confrère Nicolas Charbonneau. Avez-vous d’autres projets de ce genre ?
Laurent Guimier : J’ai déjeuné avec lui ce midi ! Nous avons des envies et des rêves, mais pas de temps. Nous ne pourrons donc pas écrire avant un bout de temps.


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