Noir Désir enflamme les Nuits de Fourvière

555
555

Le théâtre romain de la colline de Fourvière est un lieu exceptionnel, tant par sa situation que par son acoustique. Le site domine en effet la ville de Lyon, et peut accueillir plus de 3 000 personnes. Organisées pour la huitième année consécutive par le Conseil Général du Rhône, Les Nuits de Fourvière sont l’un des plus importants festivals de l’été, aussi bien par sa programmation que par sa durée. Les Nuits de Fourvière se déroulent en effet du 19 juin au 15 septembre, proposant des spectacles aussi divers que de la danse, de l’opéra, de la musique classique, des concerts, de l’humour ou encore du théâtre. Cette année, Les Nuits de Fourvière accueillent les plus grandes têtes d’affiche de la variété et du rock français et international. Sont ainsi programmés des artistes tels que Alpha Blondy, Kassav, Etienne Daho, Gérald de Palmas, Eagle Eye Cherry, Patrick Bruel, Matmatah, Clarika, Asian Dub Fonsation, Linda Lemay, Henri Salvador, Placebo, Les Têtes Raides et Noir Désir. Au total, plus de 100 000 spectateurs sont attendus cette année, et la plupart des spectacles se donnent à guichets fermés.

Il y avait donc foule ce samedi 27 juillet sur les hauteurs de Lyon, à l’occasion du concert de Noir Désir. Munies de leurs précieux billets, plusieurs centaines de personnes étaient massées devant les grille du Théâtre Romain. Dès 20h30, Les Têtes Raides montaient sur scène devant un public particulièrement chaleureux. Il y a à peine deux ans, totalement inconnu du grand public, le groupe se contentait de concerts dans des petites salles. Depuis lors, leur dernier album, « Gratte Poil », leur a donné une toute nouvelle dimension, et surtout une toute nouvelle notoriété. Déjà programmé à la Halle Tony Garnier de Lyon en décembre dernier, Les Têtes Raides ont ravi un public de connaisseurs. Pendant près de deux heures, ils ont proposé un spectacle s’apparentant à un véritable petit théâtre musical, dans la droite lignée des chansonniers français des années 40. Les compositions du groupe sont particulièrement riches sur le plan musical, mêlant des instruments aussi variés que le violoncelle, l’accordéon, le tuba, l’hélicon, le trombone, la clarinette, la flûte traversière, la grosse caisse et la batterie. Leurs titres, très influencés par Boris Vian et Desnos sont de véritables saynettes de la vie quotidienne. Tout à la fois réalistes et poètes, rêveurs et révoltés, ils sont avant tout les lointains héritiers de Brel et de Brassens, en plus fous, en moins classiques. Leur chant est militant sans être ennuyeux, leurs rythmes sont variés, frais et spontanés et leurs textes ont toujours cette gravité vivace qui réveille, qui interroge. Un jeu de scène particulièrement inventif donne encore plus de corps à leurs chansons. Le public se souviendra longtemps de « Ginette » : la scène complètement plongée dans l’obscurité, n’était éclairée que par une ampoule et un abat-jour fixé à un long câble dans les tringles, et balancée par le leader du groupe, elle éclairait d’un rayon tamisé tour à tour le groupe et les spectateurs massés dans l’arêne… avant de rendre l’âme, obligeant un technicien, armé d’un tabouret, à monter sur scène pour changer l’ampoule.

A 22h30, Les Têtes Raides cédaient leur place aux bordelais de Noir Désir. Le groupe de Bertrand Cantat s’est imposé, en quelques années, comme l’un des principaux leaders de la scène rock française. Révélé en 1989 par le single « Aux Sombres Héros de l’Amer », meilleure vente de 45 tours cette année là, leur album « Veuillez Rendre l’Ame (à qui Elle Appartient) » se vend à plus de 100 000 exemplaires. Encore plus fort, l’un des plus grands succès du groupe, « Tostaky » sortira en 1992 et 350 000 exemplaires seront vendus en moins d’un an. Noir Désir connait alors la consécration dans toute l’Europe. Récompensé par deux Victoires de la Musique, le groupe est reconnu par les plus grands, dont Gainsbourg lui-même, mais refuse toujours les honneurs et fuient les médias. Ils aiment se faire rares, pour mieux se concentrer sur leurs compositions. Leur rock sophistiqué, leurs textes alambiqués, mais qui touchent toujours juste, leurs dégaines de dandies décadents en font des repères incontournables de l’histoire du rock français actuel. Toujours nouveaux, toujours étonnants, ils ont fait lors de leur concert aux Nuits de Fourvière, la preuve de leur immense talent, original, au-delà des modes et des tendances, fruit d’un travail acharné, d’une précision diabolique. Plus que de la musique, plus que des textes, Noir Désir a inventé une ambiance, un style très particulier qui ne cesse de se ciseler, de se développer et d’intriguer. Un concert de Noir Désir est un moment unique, une émotion très particulière, une évasion inédite, un pur plaisir. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés, et quelque peu désorientés par une longue intro en ouverture du concert, ils n’ont pas boudé leur plaisir. Pendant près de 10 minutes, le Théâtre de Fourvière s’est en effet retrouvé plongé dans une ambiance mystique, proche des musiques tibétaines, mêlant riffs de guitares et vocalises étonnantes de Bertrand Cantat, passant des sons les plus graves aux plus aigüs. Noir Désir enchaine ensuite une série de titres, et la tension était perceptible dans le public qui attendait avec impatience les classiques du groupe : « Tostaky » et « Un Homme Pressé ». Deux titres qui enflammeront littéralement le Théâtre Romain, donnant lieu à d’impressionnants mouvements de foule dans l’arêne, au pied de la scène. Le point d’orgue de ce concert fut sans conteste le duo qu’offrirent ensuite Noir Désir et Les Têtes Raides, les deux groupes réussissant, malgré des styles musicaux très éloignés, une remarquable prestation. Après deux heures de concert, Noir Désir quittait la scène, mais devant les rappels du public, reprenaient leurs instruments pour une version totalement improvisée de « Le Vent l’Emportera », le dernier titre du groupe, en une version « acoustique expérimentale » comme le fera remarquer Bertrand, un léger sourires aux lèvres. Devant un seul micro, et malgré quelques larsens intempestifs, Noir Désir fit la preuve de son talent. Performance d’autant plus remarquable lorsque Bertrand Cantat, entouré des autres membres du groupe, quitta le micro pour s’approcher du bord de la scène. Les 3 000 spectateurs se turent pour écouter, presque religieusement, Noir Désir terminer sa prestation sans sono et sans micro, donnant une toute nouvelle dimension à ce titre. C’est cette version acoustique qui concluera ce concert, qui restera sans aucun doute l’un des temps forts de l’édition 2001 des Nuits de Fourvière.


#Tags de cet article
Optimization WordPress Plugins & Solutions by W3 EDGE