Parti-pris de Mallis – Le parti-pris d’une webradio indépendante

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La webradio a souvent réveillé des passions, des envies de liberté, liberté de ton et liberté de programmation musicale redevenues impossibles dans le paysage audiovisuel français étouffé par les formatages de plus en plus stricts. Beaucoup ont vu une sorte de revival des années 80 et de leurs radios libres. Il est vrai qu’il y a une analogie à faire entre ces deux époques que 20 ans séparent. La webradio est un média qui bénéficie à la fois de l’insouciance voire même de la folie héritée du début des eighties et de l’expérience des radios FM qui ont essuyé les plâtres.

Dans la première moitié des années 2000, les pionniers de la webradio, à de rares exceptions près, sont des opérateurs totalement indépendants, qui fonctionnent pour la plupart en association à but non lucratif. Chaque fois que quelque chose de nouveau apparaît il y a des levées de boucliers, les webradios associatives ont su s’unir pour pérenniser ce média, en proposant des accords aux organismes de rétribution de droits et ont, de fait, rendu légales les webradios, toutes les webradios. Nous sommes alors en 2007, la route que ces pionniers ont ouverte parait alors bien tracée, tout parait possible et ces stations se professionnalisent, innovent tant dans leur programmes que dans les techniques et services qu’elle mettent à la disposition de leur public. Certaines commencent à commercialiser leurs flux, certains annonceurs commencent à trouver un intérêt à ces programmes alternatifs souvent très thématiques, une régie française s’intéresse de très près à ce secteur, les affaires commencent et…

C’est grosso modo à cette époque que certains opérateurs FM ont commencé à se rendre compte que des webradios réussissaient modestement à s’implanter, à trouver leur public, leurs partenaires institutionnels ou commerciaux et à générer une économie, il était temps de riposter.

Riposter pourquoi ? Certains opérateurs, qui ont bâti leurs réseaux de diffusion en absorbant grand nombres de stations locales, contournant de fait la législation dont le CSA est le garant, ont vu un nouveau gâteau à croquer, un gâteau qu’il leur fallait alors même si ils n’étaient en rien à l’origine de sa confection. Ceux là mêmes ont commencé à investir le net, en proposant des déclinaisons de leurs programmes phares. A ce stade cette réaction, même si elle a pu faire sourire, était parfaitement légitime. Seulement, comme toujours, il leur était insupportable de partager le gâteau avec ceux qui l’avaient cuisiné. Ces gourmands ont donc mis sur le marché des offres publicitaires discount, dont certaines étaient 10 fois moins chères. Beaucoup de gros annonceurs ont été déstabilisés, beaucoup se sont demandés (ou pas) pourquoi acheter de la publicité à des opérateurs alternatifs dont les marques étaient loin d’être notoires, à des prix plus élevés. Le tour était joué, les prix sont tombés, handicapant, voire même paralysant le développement de ceux qui avaient défriché le support médiatique des webradios. Pour être certains d’enfoncer le clou ou voyant que certains résistaient encore, ces mêmes gourmands ont multiplié les flux, les programmes et les déclinaisons. C’est ainsi que le sacro saint number one en est arrivé à quelques 150 canaux qui, si certains peuvent présenter un intérêt, pour la plupart rivalisent de mépris pour le public. L’on trouve sur le net des programmes (vous verrez que le mot est fort) qui ne proposent qu’un seul disque qui tourne en boucle toute la journée, ou une sélection des disques préférés de la bimbo buzzable du moment. Pas de limite aux restrictions de la diversité musicale ou même aux promesses mensongères. Autre exemple, une webradio qui se targue d’être la seule à proposer à ses auditeurs de voter pour les titres diffusés en vue de leur reprogrammation alors que ce principe existe depuis toujours chez les pionniers.

Pour couronner le tout, des startup flairant le bon filon se sont spécialisées dans le développement de plates-formes permettant de fabriquer soi-même sa radio, une manière de faire faire le boulot par ses internautes tout en multipliant à l’infini les flux hasardeux, considérant que 7000 radios avec 10 auditeurs représenteraient une bien belle audience à monnayer, car le but n’est que là.

L’OJD qui propose une mesure d’audience des webradios depuis l’été 2013 met en valeur tous ces acteurs, notamment grâce à un indice clair nommé ‘sessions active’ qui permet la comparaison entre webradios. Les chiffres sont clairs, la plus grosse est bien NRJ avec près de 35 millions de sessions actives, belle performance mais avec 159 radios. Une rapide division nous permet de voir, qu’en moyenne, un canal de cette marque peut être crédité de 219.000 sessions actives, chiffre largement dépassé par beaucoup d’opérateur bien loin d’avoir la notoriété et la force de frappe du groupe en question.
Remarquable aussi, le réseau Radionomy fort de ses quelques 69 millions de sessions actives mensuelles obtenus avec 6.043 radios ! Notre calculette nous rapporte des canaux avoisinant les 11.500 sessions actives mensuelles soit mois de 400 écoutes significatives par jour, autant dire un flop.

Nous assistons donc à l’éclosion d’une multitudes de canaux dont le seul but est de générer des sessions actives, de les agglutiner pour espérer les commercialiser. Qui peut encore parler de radio ? N’est-il pas légitime alors de faire publiquement ce constat, qu’une fois de plus, un formidable outil, ici Internet, est le vecteur malgré lui de cette hégémonie à seul but lucratif là où il apparaissait comme pouvant être un magnifique allié pour la diversité culturelle. On m’objectera que ces mastodontes n’empêchent pas des webradios telles que les nôtres d’exister, que chacun fait bien comme il veut, que si les auditeurs écoutent c’est qu’ils y trouvent leur compte et qu’on n’a qu’à faire comme les autres, truster le secteurs et, nous aussi, proposer 50.000 flux.

Nous considérons que le premier rôle d’un média, avant toute recherche de fortune financière est de remplir une mission vis-à-vis de ses lecteurs, auditeurs ou spectateurs. Que diriez-vous d’une chaîne de télévision qui diffuserait le même épisode d’une série, en boucle ? Que diriez-vous d’un magazine qui publierait le même paragraphe sur toutes ses pages ou d’un humoriste qui jouerait le même sketch pendant 90 minutes sur scène, chaque soir ? Les médias ont un rôle important et les omniprésences de certains groupes détournent le public de ce qui pourrait être tout aussi divertissant et ne tirerait pas ainsi le niveau vers le bas.
N’oublions pas la multiplication des plates-formes ou annuaires de radios qui référencent des médias dans le seul but d’y ajouter de la publicité, la plupart sans demander aux éditeurs et bien entendu sans aucune proposition de partage. Le comportement du coucou.

A l’heure où certains auditeurs potentiels ne savent pas encore qu’il est possible d’écouter une radio sur Internet, où d’autres croient que seules les radios traditionnelles diffusent aussi sur le net, il nous parait d’autant plus urgent de tirer cette sonnette d’alarme contre une attaque de plus contre des diffuseurs indépendants qui se veulent être complémentaires, droit qu’on leur conteste par de telles attitudes voraces.

Ce parti pris n’est pas une énième charge contre les gros méchants contre les petits gentils, les éventuelles objections dans ce sens seront hors-sujet, l’idée est d’alerter sur certaines exagération qui brouillent la communication et les tentatives de développement d’opérateurs indépendants qui ont, tout autant que les institutions de la radio, droit de cité.

Je dirai même que, plus que jamais, ces médias émergents que sont les webradios indépendantes doivent avoir une place, leur place. L’unanimité est quasi générale sur le fait que les innovations techniques ou éditoriales ne se trouvent plus chez les opérateurs historiques. Aujourd’hui, ceux qui innovent, ceux qui cherchent, ceux qui osent doivent être, sinon plus, au moins autant visibles que ceux qui spéculent. Si les webradios ont appris de leurs aînées, nous en sommes au stade ou c’est le contraire qui se produit. A l’instar de l’industrie du disque qui n’a pas vu arriver Internet et l’a considéré comme un ennemi avant même de chercher à comprendre quels bénéfices le secteur pourrait en tirer, on sent un frémissement hostile de tout un monde de gens installés qui préfèrent tuer dans l’oeuf au lieu de s’ouvrir.
Ce même monde qui profite pourtant du travail de terrain de ces webradios (et même de certaines FM locales ou associatives) sans jamais le mentionner ou lui rendre hommage. Un exemple ? Shaka Ponk, soutenu et diffusé depuis 8 ans par La Grosse Radio (et Radio Néo) et qui, à entendre ces mastodontes hertziens, seraient leur découverte.
Il est consternant de voir que certains de ces plus gros opérateurs mettent en ligne des programmes sur des formats musicaux qu’ils ne maîtrisent à l’évidence pas, qui ont moins d’audience que des webradios indépendantes sur le même genre de format et qui les gardent. Comment ne pas y voir la seule intention d’occuper le terrain ?

La vente de la publicité en ligne est un assez bon exemple de ce constat. On peut rappeler l’épisode de la régie publicitaire qui s’est faite avaler pour les mêmes raisons, ou voir de quelle manière leurs remplaçants échouent en vendant leurs espaces d’une façon qui est, de notre point de vue, déjà obsolète. On vend encore trop la publicité au kilo en se disant que parmi ces millions de gens, certains vont bien acheter et que donc la seule solution pour vendre est de proposer son produit à un maximum de gens. Des gens que l’on tente de faire rentrer dans des classements en fonction de leurs caractéristiques obtenues la plupart du temps uniquement par sondage. Fausses ou erronées donc.

Après cette charge quasi-générale contre un système qui répond de moins en moins aux attentes du public et des artistes, il est temps de dire à ceux qui ont déjà le boomerang à la main que notre discours n’est qu’un constat ; un constat comme base de travail et de réflexion pour un avenir qui nous concerne tous, que l’on soit du côté du micro ou du transistor. Que l’on diffuse en FM, en RNT, sur Internet ou les trois à la fois.

On dit que 80% des médias ne diffusent que 20% de la production globale d’oeuvres artistiques. L’arrivée de tous ces nouveaux opérateurs sur le net devraient renverser cette tendance pas l’aggraver. Nous n’avons rien contre le principe des médias commerciaux, des programmations de type Top 40 ou Hits and cash tant la proportion de ce type de formats ne devient pas la norme et n’écrase pas la diversité musicale. Ce cap est malheureusement franchi depuis belle lurette mais Internet doit permettre de rééquilibrer un peu les choses. Sur l’album d’un artiste il n’y a pas que le single qui doit compter.

En conclusion, nous pensons que les plus investis des éditeurs de webradios indépendantes devraient organiser des cercles de réflexions sur ces états de faits et devenir force de propositions. Dans le but unique de la sauvegarde et du développement de ce média, une sorte de fédération philanthropique, si l’on peut employer ce terme sans fait rire tout le monde.

Les webradios ont contribué à faire gonfler un gâteau qui manquait de levure, maintenant que la cuisson est presque terminée, il nous parait légitime qu’il leur reste un peu plus que quelques miettes.

Mallis
Président-fondateur de La Grosse Radio
http://www.lagrosseradio.com


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