Radio Andorre – Sylvain Athiel retrace l’épopée des « Conquérants des Ondes ! » (entretien)

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RadioActu : Qu’est-ce qui vous a poussé à retracer l’aventure de Radio Andorre ?
Sylvain Athiel : Dès l’âge de 11 ans je découvrais en Andorre le monde mythique de la radio et décidai, sans envisager d’autre issue possible, que cela deviendrait mon métier. Des années plus tard, j’ai voulu en savoir davantage sur l’origine des deux grandes stations qui émettaient alors depuis de la Principauté et ainsi de ma passion. Challenges technologiques inouïs, aventures humaines, meurtres, affaires d’espionnages, scandales politiques… J’ai vite compris que j’ouvrais un dossier fascinant !

RadioActu : Un dossier oublié aussi …
Sylvain Athiel : En effet. Si la grande région Midi-Pyrénées a toujours fièrement revendiqué son passé aéronautique et des héros tel Mermoz, Saint Ex ou Latécoère … elle a oublié qu’elle fut aussi et de façon spectaculaire l’un des berceaux de la radiophonie mondiale… Elle a oublié ces pionniers que furent à leur tour les Kierwkoski, Trémoulet, Roy…

RadioActu : Pour quelles raisons ?
Sylvain Athiel : La conduite de ces brillants hommes d’affaires fut pour le moins opportuniste sous le régime de Vichy… Et surtout, ils furent tout au long d’une bonne partie du 20ème siècle, des pourfendeurs acharnés et talentueux du monopole d’État de la radiodiffusion en France.

RadioActu : À quel public s’adresse « Conquérants des Ondes » ?
Sylvain Athiel : Certainement pas aux seuls spécialistes de l’histoire de la radio. La portée du mythique slogan « Aqui Radio Andorra… », désormais ancré dans la mémoire collective, montre à quel point cette aventure à marqué les esprits. Et pas seulement dans le Sud. Ce livre raconte la destinée incroyable de celles et ceux qui ont gravité autour de cette entreprise au moment même où histoire et technologie, passions et ambitions, se heurtaient de façon étonnante et s’adresse ainsi à toutes et tous !

RadioActu : Peut-on parler d’un « roman politico-historique » ?
Sylvain Athiel : Je voulais tout faire sauf un livre ennuyeux et ne pouvais, aux vues de la passion que j’entretiens pour cette histoire, me contenter du travail parfois excluant de l’historien. Il fallait une mise en scène à la hauteur du quotidien tumultueux des protagonistes de cette aventure. J’ai donc pris le parti d’une traversée du siècle aux cotés de ces personnages hauts en couleur que l’on suit « caméra au point ». À la manière d’une fiction mais où tout serait vrai.

RadioActu : Que révèle votre ouvrage que l’on ne savait déjà ?
Sylvain Athiel : « Conquérants des Ondes ! » fait la synthèse des nombreux éléments qui constituent cette saga et les met réellement en perspective. Il fait aussi clairement la part des choses entre légende et réalité… Quels étaient les vrais enjeux ? Quel rapport y avait-il entres ces grandes radios et le monde politique ? Quel a été le rôle exact de ces stations durant la seconde guerre mondiale ? Le livre témoigne ainsi, au plus près, de l’incroyable épopée humaine, juridique, technologique et géopolitique que constitue cette histoire aujourd’hui quasi ignorée. Le plus souvent possible je me suis attaché à recueillir les témoignages de celles ou ceux qui ont vécu cette aventure. Des mémoires vives dont il aura fallu parfois, car cette histoire fut bien souvent douloureuse, gagner la confiance en se forgeant une certaine légitimité. Des rencontres toujours extraordinaires !

RadioActu : De quelle façon Radio Andorre a-t-elle influencé l’histoire de la radiodiffusion française et en quoi, selon vous, ces aventures ont-elles un lien avec le monde radiophonique contemporain ?
Sylvain Athiel : L’histoire de ces Conquérants des Ondes nous interpelle au moins sur deux points essentiels. Le premier, c’est que face à la perspicacité des propos tenus dès les années 30, les théoriciens modernes des médias, ou ceux qui se prétendent comme tels, prennent souvent le risque d’apparaître comme de dangereux charlatans. À y regarder de plus près, voici bien 70 ans que l’on n’a pas inventé grand chose, finalement, en matière de radio ! Ensuite, et si l’on considère notre période de profonde mutation technologique, la perspective du passé nous renvoie à l’essentiel : la radio, ce n’est pas le contenant mais bien le contenu !

RadioActu : Ainsi, peu importe l’outil, le vecteur, la technologie ?
Sylvain Athiel : Ce qui compte, en effet, ou devrait compter dans nos métiers, c’est notre capacité à instruire, à informer, à divertir. Tiens, encore une formule des années 30…

RadioActu : Dans quelles circonstances Sud Radio a-t-elle vu le jour ? On considère que Sud Radio est l’héritière de Radio Andorre. Est-ce exact ?
Sylvain Athiel : C’est une terrible méprise ! Tout au contraire, Sud Radio est l’arme imaginée dans les années 50 par un gouvernement français à court d’arguments pour mettre à mort Radio Andorre qui se jouait avec succès de la loi du monopole d’état. Une véritable guerre des radios a eu lieu en Principauté. Bien sûr, avec le temps, cette proximité géographique a fait que les affects et les équipes se sont mêlés. Ainsi, la confusion entre les deux stations a pris le dessus dans l’esprit du public. En1981, les andorrans finiront par renvoyer tout ce beau monde dos à dos en mettant fin aux deux concessions accordées. Radio Andorre, indésirable et affaiblie, n’aura plus les moyens de survivre. Quant à Sud Radio, recentrée à Toulouse, elle ressuscitera de ses cendres, surfant sur un incroyable paradoxe en profitant de la « libéralisation de la FM » accordée par François Mitterrand à son arrivée au pouvoir.

RadioActu : Vous acceptiez il y a quelques mois de prendre la direction des programmes de Sud Radio dans un contexte particulièrement difficile. Pourquoi avoir accepté ce poste ?
Sylvain Athiel : Parce que je l’avais sollicité ! Parce que je pensais être l’homme de la situation. Parce que je pensais surtout que l’on me laisserait le démontrer. Parce que sur un plan plus personnel, cette rencontre, je l’attendais depuis… 35 ans !

RadioActu : À votre arrivée, dans quel état avez-vous trouvé cette radio ?
Sylvain Athiel : Le vaisseau prenait l’eau de toutes parts… Mais les bonnes volontés existaient aussi, à tous les étages. Je sais avoir contribué à minimiser de terribles erreurs, à éviter de graves incidents et quelques drames personnels. Un patron, surtout dans ces conditions, ce n’est pas seulement un tueur, c’est aussi un guide, plus souvent qu’on ne le pense au service des autres. Pour cela, il faut se forger une légitimité. Professionnelle et humaine.

RadioActu : Vous avez pourtant quitté vos fonctions en octobre dernier dans un contexte de rumeurs de désaccord. Qu’en est-il vraiment ?
Sylvain Athiel : On parlera plutôt de malentendu. Le « métier de directeur des programmes » que je connais bien ne peut s’exercer que si l’on prend pleinement part aux choix de l’antenne dont on a la responsabilité. Dans un contexte économique et social incroyablement complexe ce n’était vraiment pas le cas à Sud Radio. Sur ce plan, je n’étais pas utile, encore moins ni satisfait. Pour autant, mes rapports avec les dirigeants du groupe et en particulier Laurent Dumay ont toujours étés sincères et cordiaux.

RadioActu : Que vous ont apporté ces quelques mois passés à Sud Radio ?
Sylvain Athiel : Au delà des rencontres et de l’expérience, le renforcement de mes convictions quant à ce qu’il aurait fallu entreprendre. Trop tard ! J’espère, malgré les inévitables dégâts collatéraux engendrés par le lent mais inexorable naufrage de ce magnifique vaisseau des ondes avoir laissé auprès de certains quelques traces de cette simple philosophie : notre métier ne peut se pratiquer que dans un double contexte de respect mutuel et de plaisir. Cela, croyez moi, n’enlève rien à la performance et à l’exigence que l’on se fixe comme objectif, au contraire, cela les renforce très efficacement.

RadioActu : Des regrets ?
Sylvain Athiel : Oui mais … non. D’abord, parce que je mesure la chance d’avoir pu vivre cette aventure. Ensuite, parce qu’évoluer sans marge de manoeuvre ni véritable délégation n’avait aucun sens. Enfin, parce que je veux vivre ma passion, loin des doxa carriéristes de notre milieu !

RadioActu : Comment expliquez-vous cette lente érosion de l’audience de Sud Radio ?
Sylvain Athiel : Je suis vraiment affecté, après avoir pu en prendre « physiquement » la mesure, par les difficultés en cascade rencontrées par Sud Radio. Elles masquent, au bout du compte, une méconnaissance intégrale du Midi, de son âme, de ses populations. La station est passée à côté de recettes toutes simples mais incompatibles avec les paradigmes culturels d’une succession de consultants venus du bout du monde ! Qu’on le veuille ou non, en France, 200 mots de vocabulaire et quelques paquets de chips ne suffisent pas à construire une radio généraliste… Ce diagnostic, je suis loin d’être seul à le partager. Alors pourquoi ce discours n’a t-il jamais vraiment été entendu ? Cela reste un véritable mystère pour moi.

RadioActu : En 2005, les laboratoires Fabre cèdent la station à la holding Sudporters. Peut-on considérer cette vente comme le début du déclin de Sud Radio ?
Sylvain Athiel : Ce serait injuste et caricatural de l’affirmer ainsi. Après l’âge d’or des années 70, le déclin de Sud Radio est d’abord engagé, à l’instar de celui des autres périphériques, par l’arrivée des nouvelles stations FM au début des années 80. Pour Sud Radio, tenue de se refaire une santé après son éviction de l’Andorre, puis privatisée, la partie est encore plus difficile. Bien sûr, pour ce qui est de l’histoire récente, les chiffres parlent d’eux mêmes… Mais la station, dans le même temps, a fait considérablement évoluer sa zone de couverture. Elle reste donc un instrument merveilleux.

RadioActu : L’attribution à Sud Radio, en août 2011, d’une fréquence FM à Paris, a souvent été considérée comme aberrante. Partagez-vous ce point de vue ?
Sylvain Athiel : Au delà des imbroglios juridico-commerciaux, ma conviction est que, même en diffusant sur la capitale, Sud Radio devait rester fidèle à son ADN, ses valeurs méridionales, et les revendiquer avec force et fierté. Mais attention ! L’esprit du Sud, ce n’est pas de la « tartarinade » à bon compte, du « pagnolesque » sans talent, du « fernandelisme » sans sensibilité ! Dans le fatras de la mixité et des réelles aspirations d’une audience parisienne potentielle, il reste de sérieuses pistes à explorer.

RadioActu : Votre parcours professionnel est particulièrement dense. Quels sont les grands souvenirs que vous en retenez ?
Sylvain Athiel : Alors que je suis toujours enthousiasmé par les nouveaux challenges et le changement, j’ai un peu de mal à me fixer sur des souvenirs. Je ne collectionne ni les photos ni les autographes ! Je garde juste en mémoire de formidables aventures humaines. Souvent intenses, parfois éprouvantes. Mes toutes premières expériences de « radio pirate », l’absurde et extravagante gestation du Mouv’, par exemple. Ou encore une série de moments épatants : un duo de guitare bien maladroitement partagé avec Carlos Santana, quelques dîners mémorables occupés à refaire le monde avec Fabrice…

RadioActu : À présent, à quoi vous consacrez-vous ?
Sylvain Athiel : Je ne sais pas m’ennuyer ! Un ami qui m’est très cher développe avec succès un réseau associatif utile et performant, il va pouvoir mieux compter sur moi pour l’y aider. Mon éditeur attend un second ouvrage : Sud Radio pourrait bien en être le thème principal. Enfin, lors de la première parution des « Conquérants des Ondes! » j’avais vivement suggéré à l’Andorre de réhabiliter les anciens bâtiments de sa radio historique en « centre d’interprétation de la radio »… Le chef du gouvernement vient d’en valider l’idée ! La première urgence est de sécuriser le bâtiment, situé à 1 200 mètres d’altitude, et dont la toiture a déjà été entièrement rénovée [NDLR : photo ci-contre]. Il reste donc à se mettre concrètement au travail pour imaginer et faire naitre sur les cimes pyrénéennes ce lieu unique, dédié à notre média, à son histoire et à son avenir. Et puisque la Principauté préside le Conseil de l’Europe en ce moment, j’aurai le plaisir de présenter cette « incroyable aventure » à Strasbourg le 3 décembre prochain…

« Conquérants des Ondes ! » – Sylvain Athiel – Éditions Privat


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