RNT – « 2010 sera l’année de la dernière chance » pour la radio numérique

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A l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly (UC), présidente du groupe d’études Médias et nouvelles technologies, le Sénat a organisé le 15 janvier dernier une table ronde consacrée à l’avenir de la radio. La question de la RNT fut naturellement au centre des débats. « 2010 sera l’année de la dernière chance pour la RNT », a estimé Alain Méar, vice-président du groupe de travail radio numérique au CSA. « Si la RNT ne démarre pas en 2010, il n’y aura pas de RNT », a t-il ajouté. Afin d’accélérer le déploiement de la radio numérique, Alain Méar s’est dit favorable à l’adoption par les pouvoirs publics d’un amendement définissant une date butoir pour fixer l’extinction de la diffusion analogique en FM. « C’est l’heure de vérité », a expliqué Alain Méar. Il a également critiqué les conclusions du rapport de Marc Tessier, déplorant que « ce rapport conclut de manière péremptoire que le bénéfice de la RNT est quasi nul ». Marc Tessier, auteur en novembre dernier d’un rapport controversé sur la radio numérique, s’est brièvement exprimé avant de quitter la table. « Il faut prendre en compte les perspectives nouvelles nouvelles pour un projet tel que la RNT », a t-il affirmé.

Soulignant la nécessité de la cohésion des professionnels, Marc Tessier a ajouté que « l’offre doit correspondre aux attentes des auditeurs ». Il souhaite « davantage de dynamique des opérateurs et des industriels, ainsi qu’une forte volonté marketing et une ambition de couverture forte ». Marc Tessier estime également que « vouloir transposer l’analogique sur le numérique, c’est prendre des risques. Il faut absolument une capacité d’innovation ». A ce propos, Alain Méar a souhaité que « les groupes de travail montrent le bénéfice de la RNT. Nous devons enrichir le dossier ». Il a rappelé qu’une loi avait été votée et qu' »il y a une feuille de route. Si l’on s’est trompés, c’est maintenant qu’il faut le dire ». Rachid Arhab a appuyé la position d’Alain Méar, estimant « essentiel » que la RNT démarre sur les 3 premières zones. « La RNT n’est pas une coquetterie, c’est un chantier qui a été lancé. Nous avons acquis la conviction que la numérisation de la radio est une urgence pour définir l’avenir du modèle de la radio, et ce n’est pas une simple obligation législative », a expliqué Rachid Arhab. « La modernité de la radio passera notamment par la numérisation », a t-il indiqué. Rachid Arhab a par ailleurs expliqué que « la diffusion sur les réseaux 3G ou 4G sera complémentaire, et ne peut pas se substituer à la diffusion hertzienne sans remettre en cause le principe de la neutralité technologique ».

Si aucun des représentants des stations n’a remis en cause le principe du lancement de la RNT, certains d’entre eux ont tout de même émis des réserves. Ainsi, Michel Cacouault, du Bureau de la Radio, a estimé qu’il n’y aura « pas d’évolution sans un regard économique ». Soulignant la chute des recettes publicitaires des radios en raison de la crise en 2009, il a expliqué que « tous les grands groupes sont confrontés à une réorganisation et une diminution des effectifs ». Dans ce contexte, Michel Cacouault estime que l’on « doit donner un éclairage économique à la radio numérique ». Représentant le groupe Lagardère, Arnaud Decker, directeur des relations institutionnelles de Lagardère Active, a expliqué que « les autorités doivent se poser la question sur la façon de maintenir la compétitivité des réseaux musicaux ». Il a souligné que le déploiement de la RNT allait entraîner une hausse des coûts. Sur ce sujet, Jacques Donat-Bouillud, directeur de la division radio de TDF, a communiqué les coûts liés à la diffusion de la radio numérique. Pour assurer la couverture numérique d’un bassin de 40 millions d’habitants, le coût est d’environ 500 000 euros annuels. La facture s’élève à 3 millions d’euros par an pour une diffusion nationale, contre 6 millions d’euros pour une diffusion nationale en FM. Il a également évoqué la capacité actuelle des réseaux 3G à assurer l’équivalent d’une diffusion hertzienne. Selon lui, la diffusion pendant 30 minutes en 3G de l’audience quotidienne totale de la radio en France coûterait 3.7 millions d’euros par an aux opérateurs de téléphonie. Ce coût s’élèverait à 6.7 millions d’euros pour une heure de diffusion par jour. « L’hypothèse la plus probable serait que les opérateurs vont brider la radio sur les réseaux 3G, car ce n’est pas une application qu’ils savent valoriser », a t-il expliqué, ajoutant que l’on « ne peut pas faire l’impasse sur le broadcast ». Jacques Donat-Bouillud a par ailleurs indiqué que l’Allemagne lance durant ce mois de janvier 2010 un appel national pour la radio numérique selon la norme DAB+. Les premiers émetteurs devraient être mis en service avant la fin de l’année, a t-il précisé. La décision allemande, qui rejoint celle de nombreux pays européens, va conduire à renforcer l’isolement technologique de la France en matière de diffusion numérique de la radio.

Pierre Bellanger a rejoint le point de vue de TDF sur la question de la diffusion. Le PDG de Skyrock, fervent partisan de la radio sur IP, a expliqué que « aujourd’hui 60% des terminaux sont des terminaux Internet mobile ». Mais, poursuit-il, « il n’y a pas qu’une seul bonne réponse à l’avenir de la radio. La solution est hybride, et au final c’est l’auditeur qui gagne ». Il s’est par ailleurs dit « favorable au T-DMB, mais également favorable à la discussion. Je pense qu’il y a des raisons de rouvrir la discussion, avec une notion d’intérêt général. Il y a des raisons de rouvrir ce dossier, non pas pour l’enterrer, mais pour le faire réussir ». Emmanuel Boutterin, président du SNRL, a pour sa part fermement déploré l’adoption par la France du T-DMB pour la radio numérique. « Il s’agit d’un choix malheureux de la norme qui est inadéquate, et les industriels le savent. Le T-DMB est une norme de télévision, coûteuse et peu souple ». Il ajoute que le SNRL « a préconisé l’ajout du DAB+, qui offre toutes les potentialités », souhaitant que la radio « sorte de cette impasse ». Bruno Patino, directeur de France Culture et représentant Radio France, a estimé, à l’instar de Pierre Bellanger que la diffusion numérique de la radio serait hybride. « Radio France doit accompagner la numérisation du broadcast. La radio numérique sur IP va exister, mais cela ne condamne pas la diffusion du broadcast », a t-il expliqué, ajoutant que « la neutralité du réseau est une question centrale. C’est la condition sine qua non pour continuer à mener notre mission de service public ». « La RNT a une obligation de réussite et ne doit pas décevoir. Sa qualité de réception doit être équivalente à la bande FM », a pour sa part indiqué Laurence Franceschini, de la DDM.

Répondant aux inquiétudes des stations de radio, Rachid Arhab a expliqué que « le CSA n’ignore pas les difficultés économiques ». « J’espère qu’en 2010 nous convaincrons que la numérisation ne signifie pas seulement des surcoûts de diffusion. Je prétends qu’il va falloir que l’on parle réellement de la question de l’extinction de l’analogique. A un moment où nous réussissons la numérisation de la télévision, nous devrions mettre de côté la numérisation de la radio ? Sans moi ! », a affirmé Rachid Arhab. Alain Méar a ajouté que « la radio n’est pas un média ringard. C’est un média populaire qui a une grande vitalité ». Rappelant que la France compte 880 opérateurs, toutes catégories confondues, il a indiqué que 1 200 nouvelles fréquences avaient été dégagées par le Plan FM+. « Nous avons aujourd’hui un paysage équilibré où règne le pluralisme et la diversité ». Il a souligné la place particulière des radios associatives, qui sont « la diversité dans la diversité. Elles ont été préservées et jouent un rôle essentiel de reflet de la diversité. Leur audience ne mesure pas leur importance ». Rappelant l’attachement du CSA à accompagner les stations associatives vers la numérisation, Alain Méar a expliqué que « la RNT ne doit pas être un accélérateur de la sélection ». Sur cette question, Laurence Franceschini a indiqué que l’avenir des radios associatives « passe par un accompagnement des coûts de diffusion liés au simulcast ». Pour 2010, les fonds alloués au FSER ont augmenté dans cette perspective.

De son côté, Jean-Eric Valli, président du GIE Les Indépendants, s’est ému de l’attention particulière portée aux radios associatives, et a dit son opposition au relèvement du seuil anti-concentration. « Ce qui me laisse un arrière-goût, c’est l’intérêt pour les radios de catégorie A et le seuil anti-concentration », a t-il déclaré. « C’est curieux de tenir ce genre de discours qui sont dans la caricature, voire dans la démagogie », a ajouté Jean-Eric Valli. « Je voudrais dire au président Valli que la démagogie n’est pas ma tasse de thé ! », a rétorqué Alain Méar. Pour sa part, Michel Cacouault estime que, en raison de l’augmentation naturelle de la population, les grandes stations nationales « sont en train de passer hors-la-loi malgré elles, avec l’élargissement naturel des bassins de population. C’est assez incroyable ! ». Philippe Gault, président du SIRTI, estime pour sa part que « le seuil anti-concentration n’empêche pas de grandir. Ce plafond est notre propre tuteur et permet de tempérer la concentration de notre secteur ». Des propos appuyés par Jean-Eric Valli qui s’est dit « inquiet car le seuil est juste un outil pour nos concurrents de nous évincer des marchés nationaux ». « Il y a un risque d’éclatement du GIE Les Indépendants », a t-il prévenu, ajoutant que « nous n’avons pas envie que la loi désigne à l’avance les gagnants et les perdants ». Philippe Gault a ajouté que « certains groupes n’exploitent pas au mieux leur patrimoine. Par exemple Europe 1 Sport, qui a un succès tout relatif, ne sert à rien. C’est une scorie ! ». Philippe Gault n’avait pourtant jamais remis en cause l’existence de cette station à l’époque où elle était contrôlée par un opérateur indépendant, avec des résultats d’audience qui n’étaient guère plus convaincants.

Arnaud Decker, pour le groupe Lagardère, a également réclamé un réaménagement du seuil anti-concentration, rappelant qu’il avait été établit en 1994 sur la base du recensement de 1990. La France comptait alors 58 millions d’habitants, contre 65 millions aujourd’hui. « Cet aménagement serait légitime en raison de l’évolution démographique », a t-il expliqué, souhaitant que soit mise en place une concertation sur ce sujet. Il a proposé que ce seuil soit relevé à 180 millions d’habitants, « car il y a un risque de remise en cause du développement organique de nos médias. Il faut que ceux qui veulent croître croissent », a indiqué Arnaud Decker. « Il serait regrettable et inenvisageable que nos groupes ne bénéficient pas de nouvelles fréquences », a t-il ajouté. Sur un éventuel dépassement du seuil anti-concentration en raison de l’augmentation de la population, Alain Méar a indiqué que « personne n’est hors-la-loi ». Néanmoins, la question du relèvement du seuil, nouveau cheval de bataille des grands groupes nationaux, risque d’être l’objet de débats virulents dans les prochains mois. En décembre dernier, un amendement portant ce seuil à 180 millions d’habitants avait été repoussé in extremis à l’Assemblée Nationale. En 2008, le rapport Giazzi, qui préconisait également un relèvement du seuil, avait provoqué une vive opposition des radios associatives et des radios commerciales locales et régionales.


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