Skyrock – Pierre Bellanger peut-il gagner la partie ?

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« Axa Private Equity, expert des nouvelles technos, a reconnu l’extraordinaire potentiel de notre leadership. C’est pour notre entreprise une reconnaissance institutionnelle à hauteur de notre succès. Avec Axa Private Equity se construit une relation durable qui ouvre toutes les perspectives » : ces mots étaient ceux de Pierre Bellanger en mars 2006, lors de l’arrivée d’Axa Private Equity comme actionnaire majoritaire de Skyrock. Aujourd’hui, le divorce est consommé. Pierre Bellanger ne conteste pas la décision d’Axa Private Equity de se désengager de Skyrock, c’est d’ailleurs la vocation d’un fonds d’investissement. Ce n’est pas la première fois que la station fait l’objet d’une telle transaction ces dernières années, de Filippachi Média à Lagardère en passant par la Deustche Morgan Grenfell. Ce que Pierre Bellanger conteste, c’est sa mise à l’écart brutale par un actionnaire qui n’est pas satisfait de la rentabilité de l’entreprise. Sauf que dans le cas de Skyrock, nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une entreprise traditionnelle. La radio, même si elle est commerciale et privée, fait partie du secteur culturel, secteur fragile par définition et peu compatible avec la spéculation financière. Car c’est aujourd’hui tout le coeur du débat : peut-on prendre le risque de modifier la cible et le format de Skyrock pour la rendre plus attractive aux yeux des annonceurs et donc augmenter le chiffre d’affaires ? La réponse est clairement non. L’exemple récent d’Europe 2, transformée en Virgin Radio en janvier 2008, démontre très clairement que changer l’emballage d’un produit ne le rend pas plus attractif pour autant. La conquête d’un public et le maintien d’une audience par définition très volatile dans un univers aussi concurrentiel que la radio est course de longue haleine que les financiers, soucieux de rentabiliser au plus vite leur investissement, ne peuvent que difficilement comprendre. Avec Skyrock, ils ont aussi découvert des salariés profondément attachés à leur patron, incarnation emblématique de l’image de Skyrock, et des auditeurs qui forment une véritable « tribu » autour de leur station favorite.

Au milieu des années 90, Pierre Bellanger, avec le talent de Laurent Bouneau, a eu l’idée de génie de positionner Skyrock sur le créneau du rap, du rnb et de la culture urbaine, un territoire musical alors quasiment absent de la FM. En quelques années, ils ont fait de Skyrock la 1ère radio de France sur les moins de 25 ans, tandis que Skyrock est leader, toutes radios confondues, à partir de 21 heures. De son côté, après quelques années d’errements, Fun Radio a suivi le même chemin, mais en se positionnant sur la cible des clubbeurs et des jeunes branchés urbains, avec une programmation musicale exclusivement consacrée à la musique dance. Il a fallu plusieurs années d’acharnement à la station pour voir son audience se stabiliser et s’orienter à la hausse. Aujourd’hui, les deux stations, chacune dans leurs univers musicaux respectifs, sont au coude-à-coude. Fun Radio sait qu’elle ne peut plus se défaire de sa promesse musicale, sauf à prendre le risque de faire fuir les auditeurs en masse. Pas plus que Skyrock ne peut prendre le risque de s’écarter de son format et de son positionnement actuels. Aujourd’hui, en dehors de son rôle culturel indéniable, Skyrock est aussi considérée comme une sorte de soupape de sécurité pour tous les jeunes qui n’ont pas accès aux médias, que ces derniers caricaturent à longueur de JT. Elle est aussi l’une des rares stations à diffuser une musique encore considérée comme subversive par certains. Malgré tout, elle souffre toujours d’une image négative de « radio des banlieues », même si la mobilisation de ces derniers jours est restée totalement pacifique et dénuée de violence verbale.

Alors il est bonne guerre que Pierre Bellanger utilise la position si particulière de sa station pour défendre son poste. C’est aussi une station qu’il a fondé et porté depuis 25 ans en lui donnant ce ton si particulier. Et Axa Private Equity est en train de le découvrir à ses dépens. Les politiques de tous bords, qui se succèdent depuis quelques jours dans les studios de la station, jusqu’à l’actuel Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, ont bien compris tout l’enjeu du bras de fer qui se joue depuis le 12 avril dernier. Avec en toile de fond le risque de voir la jeunesse débarquer dans les rues. Mais désormais, s’il sait qu’il peut compter sur la mobilisation virtuelle de ses auditeurs, Pierre Bellanger doit composer avec une variable inconnue : combien d’entre eux sont prêts à descendre dans la rue pour soutenir physiquement Skyrock ? En annonçant une « initiative populaire massive », Pierre Bellanger veut-il rééditer la grande manifestation de décembre 1984 qui avait réuni plus de 250 000 jeunes dans les rues de Paris pour soutenir 6 stations menacées de suspension par la Haute Autorité, dont NRJ et La voix du Lézard, ancêtre de Skyrock ? Nul ne peut présager ce que prépare le patron de Skyrock, retranché dans son bureau de la rue Grenetta. Mais il doit composer avec un calendrier doublement serré : avec la fin des vacances scolaires de la zone de Paris, il va être plus difficile de mobiliser les jeunes auditeurs. De l’autre, après avoir annoncé le 14 avril dernier son intention de se porter acquéreur de la totalité de son groupe, Pierre Bellanger va devoir présenter très rapidement une offre conséquente à Axa Private Equity.

L’actuel actionnaire majoritaire de Skyrock s’est fait discret depuis le début de la crise, se contentant de proposer la nomination d’un médiateur. Tout en reconnaissant le succès d’audience de Skyrock en FM et sur Internet, Axa Private Equity a expliqué que les résultats financiers du groupe n’étaient pas à la hauteur de ses espérances. En 2006, la Deutsche Morgan Grenfell avait réalisé une confortable plus-value en cédant à Axa Private Equity pour plus de 80 millions d’euros ses parts dans Skyrock, acquises pour 46 millions d’euros 6 ans plus tôt. En se portant acquéreur de son groupe, Pierre Bellanger va donc devoir rassembler au moins 80 millions d’euros pour racheter les 70% des parts contrôlées par Axa Private Equity. Avec le risque de voir un autre investisseur présenter une offre supérieure à la sienne et sur laquelle Pierre Bellanger devra s’aligner pour prendre le contrôle de son groupe. Aujourd’hui, Pierre Bellanger peut compter sur des appuis politiques et sur un important carnet d’adresses. Selon le JDD de ce dimanche 15 avril, Xavier Niel, PDG de Free et actionnaire du quotidien « Le Monde », est évoqué comme possible partenaire de Pierre Bellanger. Si Xavier Niel n’a pas souhaité commenter cette information, Pierre Bellanger a indiqué que « tout€$ l€$ bonn€$ volont€$ $ont l€$ bi€nv€nu€$ 😉 » (sic) sur son compte kwest. Mais en définitive, et comme le prévoit la loi de 1986, c’est au CSA qu’il appartiendra au final de donner son aval ou non à la cession de Skyrock. En 1999, lors de la cession de la station à la Deutsche Morgan Grenfell, le CSA avait exigé le maintien du format musical de Skyrock, ainsi que le nom de la station, son indépendance éditoriale et le maintien de la direction de Skyrock. Nul doute que ces conditions seront une nouvelle fois au coeur d’un éventuel agrément du CSA.


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