Ziad Maalouf (RFI) – « Nous ne sommes qu’au début de l’interaction entre Internet et la radio »

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Pouvez-vous présenter en quelques mots « L’Atelier des médias », que vous animez avec Simon Decreuze ?
Ziad Maalouf : « L’Atelier des médias » est une émission de radio traditionnelle, qui, lors de sa création par Philippe Couve il y a sept ans, s’est aussi lancée sur Internet pour explorer de nouvelles manières de faire de la radio, dans de nouveaux univers médiatiques. Il y avait une composante participative, mais aussi l’idée de ne pas mettre en ligne la même chose que l’on proposait à l’antenne. Il ne s’agissait pas seulement d’une politique de podcasts, mais plutôt d’une politique de contenus, de nouvelles publications sous des formes différentes, avec plus de contenus contextualisés, adaptés à un univers web, à d’autres manières de consommer le son… Il s’agit donc à la fois d’une émission traditionnelle, d’un projet internet et d’un laboratoire, qui nous permet de développer des projets en permanence. Nous avons passé ces trois dernières années à développer un autre projet web, la plateforme « Mondoblog », issue de notre expérience en tant que plateforme web sur « L’Atelier des médias ». Nous avons décidé de développer une sorte de club de l’expression en ligne, qui organise aussi des formations, etc.

Certaines stations publiques, notamment de Radio France, proposent aussi un contenu plus riche, ou différent, sur leur site internet…
Ziad Maalouf : RFI n’est pas Radio France… Nous avons évolué de façon différente. « L’Atelier des médias » fait cela depuis sept ans et, chaque semaine, propose une densité très forte de chroniques, de contenus divisés, partagés, recontextualisés… Je ne connais pas d’autre émission qui fait cela. J’ai vu des gens qui partageaient en ligne, des billets, etc, mais je ne connais pas d’émission hebdomadaire qui propose des contenus, des versions longues, qui réécrit des présentations, propose des liens, des informations supplémentaires et passe systématiquement du son au web, du web au son, et fait interagir sur une plateforme autonome ; je n’en connais pas. Je peux éventuellement citer Antibuzz (sur France Inter, ndlr), qui a duré deux mois. Le concept de Thomas Baumgartner était génial, mais la station ne l’a pas maintenu. Mais Radio France fait des choses très intéressantes, comme la plateforme « nouvOson » et des documentaires sonores.

De quelle façon répartissez-vous les énergies entre l’antenne et le web ?
Ziad Maalouf : Je n’envisage pas véritablement de frontière. Quand je produis, je pense le plus souvent possible à tous les supports. Je n’aime pas me dire qu’il s’agit de tâches supplémentaires. Nous produisons du contenu destiné à être disponible dans des endroits et contextes différents. Il faut avoir conscience de cela au moment où nous produisons, et faire les choses pour qu’elles soient pertinentes sur tous les supports. Certains projets, presque cent pour cent orientés sur Internet, comme « Mondoblog » ou « Libyablog », sont extrêmement chronophages et m’ont obligé à consacrer une bonne partie de mon temps à la gestion, l’organisation… Concernant « L’Atelier des médias », nous produisons de façon unique et consacrons du temps aux deux supports. Tout est lié.

La façon dont vous exploitez le concept de votre émission semble unique. Etait-il logique pour vous de recevoir ce Grand Prix 2013 du « Meilleur programme radio 2.0 » ?
Ziad Maalouf : Premièrement, je trouve que la présélection du Prix était logique, notamment pour « Antibuzz » et « Pixel » (de l’équipe web et la rédaction de France Culture, ndlr). J’ai trouvé logique le fait d’être présélectionné par des professionnels. Le Prix a ensuite été attribué par le public, c’est moins important pour nous. Mais oui, ce prix est logique. J’ai d’autant plus de facilité à le dire que je ne suis pas responsable de tous les aspects du concept. J’ai hérité d’une émission que j’ai maintenue, que nous avons développée avec le temps… L’origine de cette idée a été trouvée il y a sept ans par quelqu’un totalement visionnaire dans l’évolution des médias et qui mettait en pratique tous les changements, qui voulait les explorer avec le participatif, la construction de plateformes, le blogging, etc. Il est donc logique que ce projet là ait été récompensé dans ce contexte.

La radio « radio 2.0 » telle qu’on pouvait l’entendre il y a sept ans n’est-elle pas la radio contemporaine ?
Ziad Maalouf : Il n’est jamais très satisfaisant d’essayer de mettre des noms sur des évolutions. C’est toujours limitatif. Il est certain que la radio a toujours été un média participatif bien avant les autres. La radio a toujours été un média incluant l’aspect participatif, par exemple avec le fait de prendre des auditeurs au téléphone. Si « 2.0 » veut dire « participatif », alors la radio est « 2.0 » depuis qu’elle existe. Si « 2.0 » prend en compte l’arrivée des médias sociaux et la possibilité pour les auditeurs d’interagir en direct, je pense effectivement que de plus en plus de radios prennent cela en compte, mais je crois qu’il y a encore du chemin à faire, nous ne sommes qu’au début de cette interaction entre Internet et la radio.

Comment se compose votre auditoire ?
Ziad Maalouf : Il y a quelque chose d’intéressant dans le projet de RFI : nous n’avons pas véritablement de profil type d’auditeur. En terme de quantité, l’essentiel de notre auditoire se trouve là où nous avons des FM : dans des pays francophones d’Afrique subsaharienne. Nous sommes aussi présents dans de grandes villes comme Paris, Marseille, Bagdad, Kaboul… et dans des capitales africaines où beaucoup de Français expatriés habitent. Nos émissions s’adressent donc un peu à des auditeurs inconnus : CSP+ à Paris, ou étudiants en Guinée, ou maire d’un village en Côte d’Ivoire, etc. Nous avons le sentiment de nous adresser à un public qui n’a pas le même bagage culturel. C’est intéressant. Nous n’avons jamais le sentiment de nous adresser à des gens qui nous ressemblent. Nous avons donc pris l’habitude d’expliquer un maximum de choses, car tout le monde ne partage pas les mêmes choses. Cela nous différencie des autres radios, dont on a l’impression qu’elles s’adressent à des gens qui leur ressemble : des décideurs pour certaines radios, la ménagère de moins de cinquante ans pour d’autres… J’ai l’impression que RFI met d’accord beaucoup de gens.

Les usages internet en Afrique sont différents des usages français et européens. Quels sont-ils selon votre expérience ?
Ziad Maalouf : Tous les pays du continent africain n’ont pas la même qualité d’accès au réseau. Cette qualité se renforce et est même excellente dans certains endroits, ce qui permet d’ailleurs de délocaliser des services complexes. Concernant les comportements sur internet, ils sont différents suivants les sites. Facebook a lancé « Facebook 0 », qui permet d’interagir sur le réseau social avec un simple téléphone, sans forcément posséder de connexion internet. Du coup les usages Facebook explosent, nous l’avons constaté avec le nombre de « like » pour les émissions de RFI. Concernant Twitter, cela semble plus lent. Mais la moitié de mes abonnés se trouvent en Afrique subsaharienne. Concernant notre site et en terme de contenus, tout dépend des langues. L’éducation dans de nombreux pays d’Afrique s’est dégradée depuis 20 ans. Le niveau de français est souvent plus faible, particulièrement dans les pays où il y a une autre langue nationale. Beaucoup de gens ont envie de publier en français pour être lus ailleurs dans le monde ; mais ils sont nombreux à faire des fautes. Par ailleurs, depuis 5-10 ans, nous avons vu émerger des personnes talentueuses pour qui c’est un mode d’expression inégalé et inégalable. Pour eux, le web 2.0 – Facebook, Twitter, blogs… – est totalement libératoire.

D’après votre expérience et les sujets que vous traitez dans votre émission, quelle est la prochaine révolution dans le monde des médias ?
Ziad Maalouf : Je pense que la révolution a déjà eu lieu, mais nous sommes loin d’être au bout des conséquences du développement d’Internet. Nous sommes encore dans cette révolution, car nous n’avons pas exploré tout le potentiel de la mise en réseau des gens, de cette « horizontalisation » du monde. Les pouvoirs et organisations verticaux sont de plus en plus mis à mal, cela touche les médias aussi. Ils étaient les canaux de diffusion et ont été totalement aplanis et égalisés. Dans l’avenir, il va y avoir des évolutions, des gadgets, mais la révolution véritable a déjà eu lieu ; nous n’en avons simplement pas encore embrassé toutes les conséquences.

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